L'histoire par le trou de la serrure de 1960 à 1979

De Wikicitoyenlievin.

                                            1960 Le coq de combat


Comme disait ma grand-mère « - Ton grand-père a tous les vices ! »

Il était « coqueleux et coulonneux… »

Avec sa vingtaine de coqs et ses 70 pigeons, il n’avait pas de quoi perdre une minute.

4 ou 5 coqs lui appartenaient et les autres étaient en pension.

Dans le lot, il avait aussi une quinzaine de coquelets qui montraient toutes leurs couleurs et leur appétit vorace au bruit de la gamelle de grains.

Mais, c’étaient les coqs adultes qui retenaient toute son attention. Après les vaccins, venait l’entraînement en vue d’un prochain combat.

Il fallait les manier avec une grande méfiance.


Fichier:coq.jpg


Malgré cela, un jour, un de ses pensionnaires lui avait ouvert la joue sur 6 ou 7 cm d’un coup de bec.

Alors en premier, tenir son visage hors de portée de l’animal, en le tenant fermement sous le bras gauche, ses pattes dans la main. Mon grand-père en quelques coups de couteau lui taillait l’ergot , un coup de tisonnier chauffé au rouge arrondissait celui-ci.

Puis, un gros morceau de coton , maintenu par un capuchon de cuir allait empêcher les coups mortels.

Quand 2 coqs étaient ainsi équipés, il fallait faire les présentations : bec à bec !

La poussée d’adrénaline mettait alors nos deux animaux en transe, plumes hérissées, regards fixes, bec entrouvert, corps raidi. Il n’y avait plus qu à les déposer dans la cour pour un combat de 10 à 15 secondes.

Enfin, il fallait récupérer nos deux bagarreurs sans les blesser ou se faire blesser.

Ainsi préparés, leur avenir devenait incertain le dimanche suivant : vainqueur ou vaincu ?

De toute manière, durant la période des combats,

le menu de lundi chez ma grand-mère était souvent immuable : coq au vin…



                                                    1962-1993-2002


                                        Les jours que l'on ne peut pas oublier


Tous les quinze jours, mon parrain venait de Châtou dans la région parisienne avec sa 2 CV bleue.

Il supervisait et aidait à la construction de la maison de ma maman .

Un samedi soir , après avoir travaillé toute la journée à la pose de l’installation électrique, nous décidâmes d’aller prendre un verre « Au Cendrier »,

un café de la place Gambetta.

                                              Fichier:place.jpg


C’était pour moi l’occasion de rencontrer une famille que j’avais vue à la rentrée des classes.

Les propriétaires allaient de table en table dans une épaisse fumée en adressant un mot à chacun dans un immense brouhaha. La salle était pleine et nous avions pu avoir une table près du comptoir.

Madame V. me salua et me demanda un rapide « comment travaillent mes garçons ? » J’avais ses deux petits hommes en classe…

Mon cousin avait connu ce café et lui rappelait sa jeunesse. Mais les temps avaient changé et la clientèle avec.

La majorité des consommateurs était algérienne. Nous prîmes une bière puis nous rentrâmes.

Une semaine plus tard, le lundi matin, en arrivant à l’école, le surveillant m’annonça que le directeur désirait me voir avant la classe.

Que pouvait-il avoir à me dire d’aussi urgent ?

Sa phrase résonne encore à mes oreilles : « M. et Mme V. ont été assassinés samedi soir, d’une rafale de mitraillette dans leur café ! » …


                                                           1993


Je traversai la cour à la rencontre de Madame X . Cette dame que je rencontrais régulièrement était joviale et consciente des difficultés de sa fille en classe.

Arrivé près d’elle, son allure raide, son regard fixe me laissèrent perplexe. Aussitôt, elle demanda à sa maman qui l’accompagnait de conduire la petite aux toilettes.

Elle m’annonça aussitôt : « Mon mari s’est suicidé cette nuit, il s’est jeté dans sa machine à chicons !

Ma fille ne sait rien et va habiter quelques jours chez une amie. Je ne veux pas qu’on lui dise. »


                                                          2002


L’église, trop petite, laisse une foule émue se recueillir sur le parvis. A l’intérieur, au milieu du chœur repose un petit cercueil.


                                                    Fichier:église.jpg


« Ma petite, mon élève » s’est tuée en utilisant le scooter de sa grande sœur.

En tête défile tous ces moments, ces rapports intenses entre le maître qui apprend à lire et ce petit « bout de chou ».

Je la revoie à mes côtés ânonnant ses premiers mots, surprenant son regard curieux, ses allures de petite mère…


Je la revoie sur le film de la kermesse...

Que le métier est beau, mais combien laisse-t-il de plaies sans cicatrices?


                                             1966.12.25 Réveillon de Noël



Mon cousin André nous avait invité à faire réveillon.


                                       Fichier:andré.jpg      André  et  Raymonde


Dans La cité du 16 de Lens rue Saint Pierre, il avait aménagé au mieux son logement des mines.

Ce fut la seule et unique fois où j'ai pu vivre avec lui un moment de « famille ».

Simple, gentil, aimable, serviable, les mots manquent à le définir. Le tress était pour lui un mot banni. Tout pouvait s'arranger...

Un VRAI MINEUR !!!

Pour ce soir, il avait voulu mettre les petits plats dans les grands car il avait invité à dîner sa « tante »( ma mère) .

Raymonde, son épouse mit tout son savoir faire pour confectionner sa bûche de Noël.

Mais, ce jour là fut pour moi un évènement dans ma vie . André avait prévu des huîtres en entrée !!!

A vingt trois ans, l'huître, ce mot de vocabulaire, prenait vie sur une table.

Je le vois encore, au dessus de son évier, se battant avec « ces bêtes » qui résistaient.

Après , une ou deux entailles dans la main gauche, les « fines de claire» étaient ouvertes et nous attendaient...

J'avoue que la première mis un temps certain ou si vous préférez un certain temps à être avalée...Les écailles involontaires d'un néophyte en ouverture d'huîtres pouvaient excuser le croquant de la chose. Je mis beaucoup de bonne volonté pour faire croire à l'excellence des huîtres ( j'ai honte).

Puis, la soirée passant, nous ne pûmes que rire aux larmes avec les récits « homériques » et sans fin de Raymonde.

Encore quelques pas de danse pour terminer la soirée .

Mais, cette première approche, plutôt difficile, des fruits de mer n'a fait que développer mon goût pour ces « bêtes » qui arrivent maintenant sur ma table plusieurs fois par an.

Je vous conseille l'huître gratinée , fondue dans un beurre d'échalote au vin d' Alsace... ou au champagne...

Encore merci André.( 1933-1968...35 ans , ou la vie d'un mineur de fond... )



                                          Le Père Noël du 24 décembre 1974


Bélisaire et Joséphine, l’oncle et la tante de mon épouse, nous avaient invité à faire réveillon chez eux rue Théophile Gautier.


Leur maison sentait des odeurs de fête. Dans l’arrière cuisine sur une petite table, refroidissait une tarte, et sur la cuisinière les marmites lâchaient toutes les senteurs d’un repas qui s’annonçait excellent.

Joséphine était bonne cuisinière et s’évertuait à toujours nous surprendre par des recettes dont elle était fière.

Elle avait demandé à Bélisaire de nous préparer son apéritif préféré :

un « alexandra », cocktail dont elle avait sa propre recette : cognac, crème de cacao et lait condensé…


Bélisaire s’était exécuté et avait préparé les verres sur la table de la salle à manger.

Seule Joséphine avait remarqué qu’il y avait une verre en trop. Pierre et Marie , nos enfants, racontaient l’émerveillement des décorations de Noël à la tante qui les écoutait avec un petit sourire aux coins des lèvres.

Des coups à la porte arrêtent les conversations, et l’oncle ouvre la porte : LE PERE NOEL !

Des yeux se font plus brillants, et notre invité surprise entre dans la salle manger.

« - Etes-vous sages ? travaillez-vous bien à l’école ?… » Et toutes les questions de circonstances se suivent.

Les cadeaux, la poupée, la voiture, les bonbons…Puis le moment des adieux.

« -Père Noël prenez-vous l’apéro avec nous ? – Non, je ne peux pas, vous savez si je commence, je ne pourrai pas terminer ma distribution…

Mais, après tout, puisque les petits sont gentils…je vais faire une exception… »

Et voilà notre verre supplémentaire utilisé !

Bélisaire avait dit à Edmond, son voisin, de venir faire le Père Noël quand il aurait vu notre 2CV devant la maison.

Puis, notre invité surprise nous souhaita un bon réveillon et repartit chez les siens…


                                      Fichier:catastrophe.jpg



A 6h17, le vendredi 27 décembre 1974, Edmond KACZMAREK nous quittait avec 41 autres mineurs dans la catastrophe minière de Saint AME…

Adieu Père Noël.



                                            1976.04.10 Boubou



Boubou pourrait faire la soirée. Lorsque j'en parle, ma femme dit : « ne l'écoutez pas, il ne va pas en finir ! »

C'est vrai que j'avais avec Boubou un sujet plein de rebondissements.

L'histoire commença un samedi à Carvin. Ma femme quittant son travail et traversant le marché pour reprendre sa voiture tomba sur un étal où était vendu un petit bouc de six semaines... Quelle idée lui passa par la tête ? Elle acheta le petit bouc …

Rentrant à la maison avec ma mère sur les talons, elles arboraient toutes les deux un sourire de connivence. Elles me souhaitèrent une « bonne fête de St Albert » ( en retard de 8 jours) et m'offrirent un grand carton qui sans tarder lança un « Béééééé » supprimant ainsi toute surprise.


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Boubou venait de faire son entrée dans la famille. Il fallut vite lui construire un enclos dans le fond du garage et profitera de l'implantation de « Carrefour » pour brouter les berges de la voix pénétrante de Liévin.

Les week end, il utilisera l'arrière de ma 2CV pour aller pâturer rue Dernoncourt (Fabre d’Églantine).

Dans cette nouvelle maison que je construisais durant mes temps libres, il occupa la salle de bain pour y passer la nuit.

Puis arriva l'automne et « l'appel de la nature ».

Du haut de la rue Théophile Gautier à deux cents mètres, son odeur dénonçait sans erreur où il habitait. Cela lui vaudra d'avoir la visite de gentilles petites chèvres. L'une d'elles est à mettre de côté.

Imaginez la petite chèvre blanche de Monsieur SEGUIN.

Mignonne, frêle, elle était la possession d'un jeune couple de la rue WILLEMAIN. Je ne sais pourquoi ces jeunes mariés avaient décidé de la présenter à Boubou le lendemain de leur mariage.

Ce dimanche matin donc, le couple arriva avec le père de la mariée...Elle, en robe blanche de son mariage, l'époux en costume nœud papillon !!!

Ils sortirent la chevrette du coffre et la présentèrent à Boubou. Sa tête se leva, il huma l'air et commença un frémissement de sa babine supérieure.

Il avait senti la belle. Je le sortis de l'enclos, le laissa s'approcher et aussi vite sauta sur la pauvrette qui s’étala les quatre pattes en croix.

Un deuxième essai donna le même résultat : la pauvrette ne supportait pas le poids de mon Roméo.

Je suggérai que quelqu'un la maintint pendant que je « canalisais » le barbu. Le marié prit la chevrette entre ses deux jambes et la supporta sous le ventre.

Mon Boubou toujours aussi amoureux ressauta sur la belle qui resta debout mais donna un coup de patte...

qui fit reculer le beau qui « ensemença » la jambe droite du superbe costume...STUPEUR du marié, mais rien n'était conclu.

Il fallut recommencer l'approche et en moins de trois secondes l'affaire fut dans le sac. La belle avait enfin été honorée dans les règles de l'art.

Quatre assauts en deux minutes.

Cela vaudra cette réflexion qui raisonne encore dans mes oreilles de la part du beau père à son gendre :

« PRIN D'EL GRAINE MIN TCHO » (sous les joues rougissantes de la mariée).



                                           1977 La soirée extraordinaire.



Nous avions coutume, avec mon épouse, de passer dire un petit bonsoir à la tante Elisabeth L.

Elle avait tenu un café aux « Marionnettes » rue de Cracovie : « Le Rendez-Vous des Chasseurs » ( et quels chasseurs !)

Mais elle tenait maintenant la guinguette de Vimy, rue Sadi Carnot.

En cet fin d’après midi , nous constations qu’elle avait un problème.

Depuis plusieurs années elle avait comme pensionnaire Martin K.. Il avait appris le matin le décès de sa sœur.

Tante Elisabeth, occupée par des ouvriers qui faisaient de menus travaux, ne pouvait pas conduire Martin revoir sa sœur avant la mise en bière. Elle me demanda donc si je ne pouvais pas la remplacer.

Et nous voilà parti, Martin et moi, pour la cité du Tonkin à Meurchin.


                                               Fichier:Martin.jpg    Martin à gauche


Ce service ne me plaisait pas beaucoup, n’ayant jamais vu de mort à ce jour…Mais…

Une femme blonde en pull blanc et jeans, aussi moulant l’un que l’autre, nous ouvrit et accueillit.

C’était une nièce de Martin, une fille de la morte. Après l’accolade sur le pas de la porte, nous entrâmes.

Dans la salle de séjour, la morte était allongée sur le divan, en chemise de nuit , pantoufles aux pieds, un mouchoir sur le visage, un chapelet entre les mains jointes…

Martin se mit à genou, enleva le mouchoir et embrassa sa sœur avec tout l’enthousiasme de ceux qui ont vécu durement dans la cité des Garennes à Liévin et que la mort ne semble pas pouvoir séparer.

Plusieurs minutes d’émotion et de larmes.

Puis chacun s’assit autour de la table de la salle à manger et la nièce nous versa un verre qui viendrait compléter la vaisselle déjà sale.

3 ou 4 litres de vin vides, et une dizaine de canettes tenaient compagnie à quelques petites assiettes qui avaient dû contenir des biscuits.

Martin demanda les nouvelles de circonstances : comment, quand, a-t-elle souffert ?

Puis vinrent les questions plus inattendues : depuis quand es-tu sortie de prison ?

(Elle avait tué son mari d’un coup de couteau, un soir où il la battait comme à son habitude….)

Mère de huit enfants, elle avait « tout » pour ne pas le faire savoir : taille, allure, silhouette.

Puis des coups à la porte annoncèrent de nouvelles visites. La morte ayant de nombreux enfants, petits enfants et arrières petits enfants, nous nous retrouvâmes bientôt une bonne vingtaine, voire trente.

La bière et le vin accueillaient à chaque fois les arrivants.

Martin retrouvait ainsi, des frères, des sœurs, des neveux et des nièces perdus de vue.

Il arrosait d’un verre de rouge chaque souvenir.

Les tout-petits avaient pris place à côté de « mamie » sur le canapé. Ils comptaient les perles du chapelet, lui faisaient des baisers, lui caressaient les mains.

Elle n’était plus morte, elle dormait au milieu de sa famille.

Puis la mémoire polonaise reprenant le dessus, Martin se risqua à fredonner faiblement une chanson de leur jeunesse.

Ecouté avec émotion, il arracha des uns et des autres quelques mots de leur chanson.

Puis, le murmure pris de l’assurance, et les chansons de leur folklore bercèrent « la Mamie endormie ».

De la jeunesse on passa tout naturellement à l’adolescence, aux bals, aux chansons qui font l’âme polonaise.

Martin, debout, retrouvant sa jeunesse, emmena sa nièce dans quelques pas de danse dans les accents des chants slaves.

Seuls les petits enfants « s’occupaient » encore de leur Mamie.

Les adultes, sautant d’une d’anecdote à l’autre, d’un souvenir à un problème du lendemain, enfumaient tant la pièce que l’ambiance devenait londonienne par jour de brouillard.

Il fallait maintenant se quitter et rentrer à Vimy…Puis, ayant déposé Martin qui avait déjà commencé sa nuit durant le retour, avec mon épouse et les enfants, nous rentrâmes à Liévin en passant par le monument canadien.

Dans les phares de la 2 CV galopaient des dizaines de lapins…mais nul « képis » ouf !!!

Seul, le cinéaste espagnol Luis Bunel aurait pu imaginer et réaliser le film de cette soirée.

Paix éternelle à Mamie…

À suivre