L'histoire par le trou de la serrure de 1960 à 1979

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Version du 31 janvier 2014 à 10:37

                                            1960 Le coq de combat


Comme disait ma grand-mère « - Ton grand-père a tous les vices ! »

Il était « coqueleux et coulonneux… »

Avec sa vingtaine de coqs et ses 70 pigeons, il n’avait pas de quoi perdre une minute.

4 ou 5 coqs lui appartenaient et les autres étaient en pension.

Dans le lot, il avait aussi une quinzaine de coquelets qui montraient toutes leurs couleurs et leur appétit vorace au bruit de la gamelle de grains.

Mais, c’étaient les coqs adultes qui retenaient toute son attention. Après les vaccins, venait l’entraînement en vue d’un prochain combat.

Il fallait les manier avec une grande méfiance.


                                            Fichier:coq.jpg


Malgré cela, un jour, un de ses pensionnaires lui avait ouvert la joue sur 6 ou 7 cm d’un coup de bec.

Alors en premier, tenir son visage hors de portée de l’animal, en le tenant fermement sous le bras gauche, ses pattes dans la main. Mon grand-père en quelques coups de couteau lui taillait l’ergot , un coup de tisonnier chauffé au rouge arrondissait celui-ci.

Puis, un gros morceau de coton , maintenu par un capuchon de cuir allait empêcher les coups mortels.

Quand 2 coqs étaient ainsi équipés, il fallait faire les présentations : bec à bec !

La poussée d’adrénaline mettait alors nos deux animaux en transe, plumes hérissées, regards fixes, bec entrouvert, corps raidi. Il n’y avait plus qu à les déposer dans la cour pour un combat de 10 à 15 secondes.

Enfin, il fallait récupérer nos deux bagarreurs sans les blesser ou se faire blesser.

Ainsi préparés, leur avenir devenait incertain le dimanche suivant : vainqueur ou vaincu ?

De toute manière, durant la période des combats,

le menu de lundi chez ma grand-mère était souvent immuable : coq au vin…




                                                   1961 Garçon de courses




J'ai commencé ma carrière professionnel à 17 ans comme garçon de course à la BNCI de Lens ( Banque Nationale pour le Commerce et l'Industrie).


                                           Fichier:Place_jean_Jaures.jpg


Bien qu'ayant signé un papier de confidentialité, je pense que 53 ans plus tard il y a prescription. Cette banque n'existant plus, étant devenue BNP, je pense pouvoir vous

confier quelques secrets avec des sommes en anciens francs de l'époque. Mon salaire mensuel était de 36.000 francs

Chaque matin, avant 8 h 30, nous devions approvisionner la Sécurité sociale.

Mes six millions dans ma sacoche « piégée » cadenassée à mon poignet et mon sac de jute rempli de monnaie sur le dos, nous prenions la rue Victor Hugo.

Moi devant et mon collègue chargé de ma sécurité 5 m derrière.

Il avait été réformé du service militaire car il était myope comme une taupe. Cela était visible comme le nez au milieu de la figure avec ses lunettes aux verres de fond de

bouteille. Il n'avait jamais sorti son révolver de son étui et n'avait nullement l’intention de s'en servir.

Mais c'était la consigne.

Puis je sortais le vélo de l'agence, je n'avais pas le droit d'utiliser mon solex.

C'était la consigne.

J'allais de boucheries en magasins de vêtements pour faire signer des factures.

11 heures, Banque de France, le rendez-vous des banquiers, la chambre de compensation.

Le Crédit du Nord, le CNP, la Société Générale, le Crédit Agricole... Tous nous échangions nos chèques.

Il fallait absolument donner un résultat au centime près des échanges. Mais le sous directeur de Crédit Agricole ( ils n'étaient que 2, lui et le directeur !) n'avait que

2 ou 3 chèques et terminait son addition avant tout le monde et faisait un malin plaisir à nous embrouiller avec les dernières plaisanteries à la mode.

Midi moins le quart, l'employée serviable de la Banque de France (BF)terminait mes comptes …


                                                Fichier:BF.jpg      Banque de France


Puis arrivaient les sorties imprévues.

Le tour de France traversait Lens pour l'étape de Roubaix. Les trottoirs étaient noirs de monde.

C'est ce moment que le Directeur choisit pour m'envoyer faire un dépôt de 38 millions à la BF.

J'avançais au milieu de la foule à coup de « Pardon », « S'il vous plaît »

Des cris et des applaudissements accueillaient chaque voiture de la caravane publicitaire.

J'étais arrivé depuis 5 bonnes minutes quand « mon ange gardien » se pointa à son tour !

Puis arriva l'épisode incroyable : nous avions perdu 40 millions.

Nous devions fournir la paie aux « laminoirs » un matin très tôt.

La somme dépassant les 60 millions, il nous était interdit d'avoir une telle somme dans notre coffre avec notre fond de roulement.

C'était la consigne.

Notre caissier s'y prit comme à son habitude.

Il déposerait 40 millions dans un coffre privé et le reste dans le nôtre.

Le matin de la livraison, nous entassâmes les sacs dans la 2 cv de service d'un jeune « démarcheur ».

tables nous attendaient au siège des laminoirs pour étaler notre cargaison. Rapide calcul des comptables... Il manquait 40 millions !

Nous étions partis sans vider le coffre privé. Retour à notre agence avec notre argent.

C'était la consigne.


                                         Fichier:câbleries.jpg  Laminoires Câbleries Tréfileries


Et deuxième voyage au complet. Le révolver roulait sous le siège du conducteur.

Parfois c'était le contraire. Il fallait absolument des liquidités et un déplacement à la BF s'imposait.

Mais évidemment, c'était ce jour-là que les camions de transport de fond arrivaient avec la paie du bassin minier.

La rue de Paris était fermée à la circulation et toute incursion se faisait avec un laisser-passer.

A l'intérieur de la BF, tous les gardes des mines assis autour de la grande salle suivaient les événements.

Quatre caissiers, la petite éponge à leur côté faisaient valser les centaines de millions.

D'un geste précis, ils jetaient dans un trou les liasses pour les faire atterrir au sous-sol.

Je devais attendre que l'un d'eux se lève pour prendre ma commande...un petit 15 millions !

Chaque lundi matin arrivait ma pénitence.

Je devais collecter la monnaie au presbytère. Les 2 sacs de ferraille des quêtes du dimanche m'allongeaient les bras.

Un lundi de juin, l’archiprêtre m'ouvrit la porte en personne.

Quelques mots : 

« -Votre métier vous plaît ?

-Qu'avez-vous comme diplôme ?

Une école privée ouvre route de Liévin , si cela vous intéresse ? »

Je réfléchirai.

Puis les après-midi à ranger le courrier dans notre « crocodile », terme qui désignait une planche avec un rabat pour chaque lettre de l'alphabet.

Il fallait mettre toutes les missives d'un même client dans une enveloppe unique .

C'était la consigne.

Puis la course contre la montre pour enregistrer le courrier avant la fermeture des guichets de la poste.

Sinon il fallait sonner au tri à l'arrière, et malheur si les sacs étaient poinçonnés.

Dernier recours, la gare de Lens et là mes oreilles sifflaient.


                                                Fichier:Poste_.jpg   Poste


Un vendredi de fin juin, le directeur me demanda de donner un coup d'éponge et de peau de chamois à sa voiture pour son départ en week end.

Je ne serai jamais un larbin.

C'était ma consigne !


Alors, je me suis souvenu de la proposition de l'archiprêtre.

Je fis un arrêt à l'école après mon travail et je débutais comme enseignant à la rentrée de septembre.

J'avais 17 ans 10 mois.



                                                    1962-1993-2002


                                        Les jours que l'on ne peut pas oublier
                                                       1962

Tous les quinze jours, mon parrain venait de Châtou dans la région parisienne avec sa 2 CV bleue.

Il supervisait et aidait à la construction de la maison de ma maman .

Un samedi soir , après avoir travaillé toute la journée à la pose de l’installation électrique, nous décidâmes d’aller prendre un verre « Au Cendrier »,

un café de la place Gambetta.

                                              Fichier:place.jpg


C’était pour moi l’occasion de rencontrer une famille que j’avais vue à la rentrée des classes.

Les propriétaires allaient de table en table dans une épaisse fumée en adressant un mot à chacun dans un immense brouhaha.

La salle était pleine et nous avions pu avoir une table près du comptoir.

Madame V. me salua et me demanda un rapide « comment travaillent mes garçons ? » J’avais ses deux petits hommes en classe…

Mon cousin avait connu ce café et lui rappelait sa jeunesse. Mais les temps avaient changé et la clientèle avec.

La majorité des consommateurs était algérienne. Nous prîmes une bière puis nous rentrâmes.

Une semaine plus tard, le lundi matin, en arrivant à l’école, le surveillant m’annonça que le directeur désirait me voir avant la classe.

Que pouvait-il avoir à me dire d’aussi urgent ?

Sa phrase résonne encore à mes oreilles : « M. et Mme V. ont été assassinés samedi soir, d’une rafale de mitraillette dans leur café ! » …

La guerre du FLN faisait rage...


                                                           1993


Je traversai la cour à la rencontre de Madame X . Cette dame que je rencontrais régulièrement était joviale et consciente des difficultés de sa fille en classe.

Arrivé près d’elle, son allure raide, son regard fixe me laissèrent perplexe. Aussitôt, elle demanda à sa maman qui l’accompagnait de conduire la petite aux toilettes.

Elle m’annonça aussitôt : « Mon mari s’est suicidé cette nuit, il s’est jeté dans sa machine à chicons !

Ma fille ne sait rien et va habiter quelques jours chez une amie. Je ne veux pas qu’on lui dise. »


                                                          2002


L’église, trop petite, laisse une foule émue se recueillir sur le parvis. A l’intérieur, au milieu du chœur repose un petit cercueil.


                                                    Fichier:église.jpg


« Ma petite, mon élève » s’est tuée en utilisant le scooter de sa grande sœur.

En tête défile tous ces moments, ces rapports intenses entre le maître qui apprend à lire et ce petit « bout de chou ».

Je la revoie à mes côtés ânonnant ses premiers mots, surprenant son regard curieux, ses allures de petite mère…


Je la revoie sur le film de la kermesse...

Que le métier est beau, mais combien laisse-t-il de plaies sans cicatrices?


                                             1966.12.25 Réveillon de Noël



Mon cousin André nous avait invité à faire réveillon.


                                       Fichier:andré.jpg      André  et  Raymonde


Dans La cité du 16 de Lens rue Saint Pierre, il avait aménagé au mieux son logement des mines.

Ce fut la seule et unique fois où j'ai pu vivre avec lui un moment de « famille ».

Simple, gentil, aimable, serviable, les mots manquent à le définir. Le tress était pour lui un mot banni. Tout pouvait s'arranger...

Un VRAI MINEUR !!!

Pour ce soir, il avait voulu mettre les petits plats dans les grands car il avait invité à dîner sa « tante »( ma mère) .

Raymonde, son épouse mit tout son savoir faire pour confectionner sa bûche de Noël.

Mais, ce jour là fut pour moi un évènement dans ma vie . André avait prévu des huîtres en entrée !!!

A vingt trois ans, l'huître, ce mot de vocabulaire, prenait vie sur une table.

Je le vois encore, au dessus de son évier, se battant avec « ces bêtes » qui résistaient.

Après , une ou deux entailles dans la main gauche, les « fines de claire» étaient ouvertes et nous attendaient...

J'avoue que la première mis un temps certain ou si vous préférez un certain temps à être avalée...Les écailles involontaires d'un néophyte en ouverture d'huîtres pouvaient excuser le croquant de la chose. Je mis beaucoup de bonne volonté pour faire croire à l'excellence des huîtres ( j'ai honte).

Puis, la soirée passant, nous ne pûmes que rire aux larmes avec les récits « homériques » et sans fin de Raymonde.

Encore quelques pas de danse pour terminer la soirée .

Mais, cette première approche, plutôt difficile, des fruits de mer n'a fait que développer mon goût pour ces « bêtes » qui arrivent maintenant sur ma table plusieurs fois par an.

Je vous conseille l'huître gratinée , fondue dans un beurre d'échalote au vin d' Alsace... ou au champagne...

Encore merci André.( 1933-1968...35 ans , ou la vie d'un mineur de fond... )



                                          Le Père Noël du 24 décembre 1974


Bélisaire et Joséphine, l’oncle et la tante de mon épouse, nous avaient invité à faire réveillon chez eux rue Théophile Gautier.


Leur maison sentait des odeurs de fête. Dans l’arrière cuisine sur une petite table, refroidissait une tarte, et sur la cuisinière les marmites lâchaient toutes les senteurs d’un repas qui s’annonçait excellent.

Joséphine était bonne cuisinière et s’évertuait à toujours nous surprendre par des recettes dont elle était fière.

Elle avait demandé à Bélisaire de nous préparer son apéritif préféré :

un « alexandra », cocktail dont elle avait sa propre recette : cognac, crème de cacao et lait condensé…


Bélisaire s’était exécuté et avait préparé les verres sur la table de la salle à manger.

Seule Joséphine avait remarqué qu’il y avait une verre en trop. Pierre et Marie , nos enfants, racontaient l’émerveillement des décorations de Noël à la tante qui les écoutait avec un petit sourire aux coins des lèvres.

Des coups à la porte arrêtent les conversations, et l’oncle ouvre la porte : LE PERE NOEL !

Des yeux se font plus brillants, et notre invité surprise entre dans la salle manger.

« - Etes-vous sages ? travaillez-vous bien à l’école ?… » Et toutes les questions de circonstances se suivent.

Les cadeaux, la poupée, la voiture, les bonbons…Puis le moment des adieux.

« -Père Noël prenez-vous l’apéro avec nous ? – Non, je ne peux pas, vous savez si je commence, je ne pourrai pas terminer ma distribution…

Mais, après tout, puisque les petits sont gentils…je vais faire une exception… »

Et voilà notre verre supplémentaire utilisé !

Bélisaire avait dit à Edmond, son voisin, de venir faire le Père Noël quand il aurait vu notre 2CV devant la maison.

Puis, notre invité surprise nous souhaita un bon réveillon et repartit chez les siens…


                                      Fichier:catastrophe.jpg



A 6h17, le vendredi 27 décembre 1974, Edmond KACZMAREK nous quittait avec 41 autres mineurs dans la catastrophe minière de Saint AME…

Adieu Père Noël.



                                            1976.04.10 Boubou



Boubou pourrait faire la soirée. Lorsque j'en parle, ma femme dit : « ne l'écoutez pas, il ne va pas en finir ! »

C'est vrai que j'avais avec Boubou un sujet plein de rebondissements.

L'histoire commença un samedi à Carvin. Ma femme quittant son travail et traversant le marché pour reprendre sa voiture tomba sur un étal où était vendu un petit bouc de six semaines... Quelle idée lui passa par la tête ? Elle acheta le petit bouc …

Rentrant à la maison avec ma mère sur les talons, elles arboraient toutes les deux un sourire de connivence. Elles me souhaitèrent une « bonne fête de St Albert » ( en retard de 8 jours) et m'offrirent un grand carton qui sans tarder lança un « Béééééé » supprimant ainsi toute surprise.


Fichier:bouc.jpg


Boubou venait de faire son entrée dans la famille. Il fallut vite lui construire un enclos dans le fond du garage et profitera de l'implantation de « Carrefour » pour brouter les berges de la voix pénétrante de Liévin.

Les week end, il utilisera l'arrière de ma 2CV pour aller pâturer rue Dernoncourt (Fabre d’Églantine).

Dans cette nouvelle maison que je construisais durant mes temps libres, il occupa la salle de bain pour y passer la nuit.

Puis arriva l'automne et « l'appel de la nature ».

Du haut de la rue Théophile Gautier à deux cents mètres, son odeur dénonçait sans erreur où il habitait. Cela lui vaudra d'avoir la visite de gentilles petites chèvres. L'une d'elles est à mettre de côté.

Imaginez la petite chèvre blanche de Monsieur SEGUIN.

Mignonne, frêle, elle était la possession d'un jeune couple de la rue WILLEMAIN. Je ne sais pourquoi ces jeunes mariés avaient décidé de la présenter à Boubou le lendemain de leur mariage.

Ce dimanche matin donc, le couple arriva avec le père de la mariée...Elle, en robe blanche de son mariage, l'époux en costume nœud papillon !!!

Ils sortirent la chevrette du coffre et la présentèrent à Boubou. Sa tête se leva, il huma l'air et commença un frémissement de sa babine supérieure.

Il avait senti la belle. Je le sortis de l'enclos, le laissa s'approcher et aussi vite sauta sur la pauvrette qui s’étala les quatre pattes en croix.

Un deuxième essai donna le même résultat : la pauvrette ne supportait pas le poids de mon Roméo.

Je suggérai que quelqu'un la maintint pendant que je « canalisais » le barbu. Le marié prit la chevrette entre ses deux jambes et la supporta sous le ventre.

Mon Boubou toujours aussi amoureux ressauta sur la belle qui resta debout mais donna un coup de patte...

qui fit reculer le beau qui « ensemença » la jambe droite du superbe costume...STUPEUR du marié, mais rien n'était conclu.

Il fallut recommencer l'approche et en moins de trois secondes l'affaire fut dans le sac. La belle avait enfin été honorée dans les règles de l'art.

Quatre assauts en deux minutes.

Cela vaudra cette réflexion qui raisonne encore dans mes oreilles de la part du beau père à son gendre :

« PRIN D'EL GRAINE MIN TCHO » (sous les joues rougissantes de la mariée).



                                           1977 La soirée extraordinaire.



Nous avions coutume, avec mon épouse, de passer dire un petit bonsoir à la tante Elisabeth L.

Elle avait tenu un café aux « Marionnettes » rue de Cracovie : « Le Rendez-Vous des Chasseurs » ( et quels chasseurs !)

Mais elle tenait maintenant la guinguette de Vimy, rue Sadi Carnot.

En cet fin d’après midi , nous constations qu’elle avait un problème.

Depuis plusieurs années elle avait comme pensionnaire Martin K.. Il avait appris le matin le décès de sa sœur.

Tante Elisabeth, occupée par des ouvriers qui faisaient de menus travaux, ne pouvait pas conduire Martin revoir sa sœur avant la mise en bière. Elle me demanda donc si je ne pouvais pas la remplacer.

Et nous voilà parti, Martin et moi, pour la cité du Tonkin à Meurchin.


                                               Fichier:Martin.jpg    Martin à gauche


Ce service ne me plaisait pas beaucoup, n’ayant jamais vu de mort à ce jour…Mais…

Une femme blonde en pull blanc et jeans, aussi moulant l’un que l’autre, nous ouvrit et accueillit.

C’était une nièce de Martin, une fille de la morte. Après l’accolade sur le pas de la porte, nous entrâmes.

Dans la salle de séjour, la morte était allongée sur le divan, en chemise de nuit , pantoufles aux pieds, un mouchoir sur le visage, un chapelet entre les mains jointes…

Martin se mit à genou, enleva le mouchoir et embrassa sa sœur avec tout l’enthousiasme de ceux qui ont vécu durement dans la cité des Garennes à Liévin et que la mort ne semble pas pouvoir séparer.

Plusieurs minutes d’émotion et de larmes.

Puis chacun s’assit autour de la table de la salle à manger et la nièce nous versa un verre qui viendrait compléter la vaisselle déjà sale.

3 ou 4 litres de vin vides, et une dizaine de canettes tenaient compagnie à quelques petites assiettes qui avaient dû contenir des biscuits.

Martin demanda les nouvelles de circonstances : comment, quand, a-t-elle souffert ?

Puis vinrent les questions plus inattendues : depuis quand es-tu sortie de prison ?

(Elle avait tué son mari d’un coup de couteau, un soir où il la battait comme à son habitude….)

Mère de huit enfants, elle avait « tout » pour ne pas le faire savoir : taille, allure, silhouette.

Puis des coups à la porte annoncèrent de nouvelles visites. La morte ayant de nombreux enfants, petits enfants et arrières petits enfants, nous nous retrouvâmes bientôt une bonne vingtaine, voire trente.

La bière et le vin accueillaient à chaque fois les arrivants.

Martin retrouvait ainsi, des frères, des sœurs, des neveux et des nièces perdus de vue.

Il arrosait d’un verre de rouge chaque souvenir.

Les tout-petits avaient pris place à côté de « mamie » sur le canapé. Ils comptaient les perles du chapelet, lui faisaient des baisers, lui caressaient les mains.

Elle n’était plus morte, elle dormait au milieu de sa famille.

Puis la mémoire polonaise reprenant le dessus, Martin se risqua à fredonner faiblement une chanson de leur jeunesse.

Ecouté avec émotion, il arracha des uns et des autres quelques mots de leur chanson.

Puis, le murmure pris de l’assurance, et les chansons de leur folklore bercèrent « la Mamie endormie ».

De la jeunesse on passa tout naturellement à l’adolescence, aux bals, aux chansons qui font l’âme polonaise.

Martin, debout, retrouvant sa jeunesse, emmena sa nièce dans quelques pas de danse dans les accents des chants slaves.

Seuls les petits enfants « s’occupaient » encore de leur Mamie.

Les adultes, sautant d’une d’anecdote à l’autre, d’un souvenir à un problème du lendemain, enfumaient tant la pièce que l’ambiance devenait londonienne par jour de brouillard.

Il fallait maintenant se quitter et rentrer à Vimy…Puis, ayant déposé Martin qui avait déjà commencé sa nuit durant le retour, avec mon épouse et les enfants, nous rentrâmes à Liévin en passant par le monument canadien.

Dans les phares de la 2 CV galopaient des dizaines de lapins…mais nul « képis » ouf !!!

Seul, le cinéaste espagnol Luis Bunel aurait pu imaginer et réaliser le film de cette soirée.

Paix éternelle à Mamie…

À suivre