L'histoire par le trou de la serrure de 1950 à 1959

De Wikicitoyenlievin.

En ce 7 janvier 1950, l'hiver était bien là.

L'eau des caniveaux était gelée et le givre avait orné de guirlandes les branches des arbres de la rue Montgolfier.

Mais, c'était la période des vœux et il fallait mettre le nez dehors et se préparer à des heures de marche. Comme chaque année, nous allions présenter nos vœux à la sœur de mon grand père maternel.

Nous ne la voyions qu'une fois par an. 

Sa maison dans le petit coron rue De Lattre de Tassigny respirait la propreté et l'ordre. Ses deux enfants étaient toute sa fierté. Sa fille préparait son entrée à l'école normale... et deviendrait la directrice de l'école d'Angres. Son garçon, marié, avait rejoint le garage de son beau-père, fabricant de carrosserie en bois!( écolo...avant l'heure?) "Ma tante" nous attendait toujours avec une tarte maison au « libouli ».

Son mari m'avait toujours intrigué avec son prénom « Vulgan »...

Après les récits de l'année écoulée, il fallait penser au retour. Nous empruntons donc la rue Défernez plus éclairée. Et arrivait enfin le moment que j'attendais depuis le début de l'après midi, « la pharmacie » en bas de la rue François Courtin. La crèche illuminée dans la vitrine n'était pas mon attente,

moi, je voulais voir les sangsues qui nageaient dans leur aquarium boule. 

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L'éclairage clignotant donnait un aspect surnaturel à ces « petits monstres » qui s'allongeaient lentement, se collaient à la vitre pour s'étirer à nouveau mollement dans un ballet irréel . Ces petits cônes noirs se tordaient, montraient leurs ventouses et s'écrasait sur la paroi. Mes yeux ne pouvaient se détacher de ces bêtes si « extraordinaires ». Ma mère , me tirant par la main, peinait à m'éloigner de ce monde du silence. Après quelques minutes, notre marche pouvait reprendre au milieu des panaches glacés que relâchaient nos respirations. Je les avais vues, j'avais vu les « terreurs effayantes » !



1950 1er Mai


Pour un réveil en fanfare, ce fut un réveil en fanfare.

Sept heures n’avaient pas encore sonné qu’une musique nous tira du sommeil. En cinq secondes toute la famille fut à la fenêtre et aperçut au carrefour des rues du Colonel Renard et Edison un orchestre improvisé dans la benne d’un camion. Assis sur des chaises, un accordéoniste, un joueur de clairon , un autre avec une batterie entre les jambes et un dernier avec son fusil de chasse nous jouaient une aubade

Le final ponctué d’un splendide coup de fusil finit de nous réveiller.

Vive ce premier mai ! Tous nos voisins étaient bien sûr à leurs fenêtres. Et tout le monde applaudit cet orchestre d’un jour. Il ne nous restait plus qu’à nous lever et continuer la conversation à travers la route ou par dessus les jardins.

La journée s’annonçait ensoleillée. 

Entre une petite tasse de «  jus » chez l’un puis chez l’autre, il fut décidé d’aller faire un pique nique à Lorette. Neuf heures et demi, dix heures, les salades de pommes terre préparées, nous pouvions enfourcher nos vélos.

La rue Montgolfier, la rue Henri Martin, le croisement de la rue Florimond Lemaire, celui de la rue Georges Carpentier, puis le chemin de terre qui nous amenait au croisement de la route d’Arras en bas de la côte ardue qui montait au sanctuaire de notre Dame de Lorette.

La montée se fit à pied car les vélos étaient chargés de sacs de provisions. Nous n’étions pas les premiers et nous dûmes chercher un coin ombragé à côté des tombes .

Un drap étalé par terre, nous pûmes enfin nous rafraîchir d’un bon verre d’eau encore fraîche. Les hommes burent leur premier verre de « Roi de Cœur » , le vin distribué dans la coopérative des mines. Puis vint le repas suivi d’une mini sieste et le match de foot avec tous les volontaires qui avaient envahi la prairie.

Les tombes militaires étaient à une dizaine de mètres mais personne ne songeait à un quelconque outrage. 


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L’après midi était avancée et le retour fut joyeux ponctué de plaisanteries sur le comportement des uns ou des autres.

Une journée simple parmi ceux qui travaillaient dur le restant de l’année.


En hommage à Pierre L et à son épouse Diana'Texte gras'


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1950 Printemps

Ce dimanche après midi, nous voilà partis pour Lens rendre visite à des amis de jeunesse de mes parents.

Ils habitaient dans un coron rue Maës .

La conversation toujours animée tournait autour de leur adolescence au 16 de Lens : le chemin de fer, la barrière, le fossé (qui écoulait l'eau de la fosse 3), la guerre, l'occupation, le travail, la mine... Pierre L. était remonté « au jour » pour des problèmes de santé. Il commençait une arthrite rhumatoïde et ses doigts lui posaient déjà des problèmes pour saisir un objet ou rouler une cigarette. Mais les langues, elles, tournaient à plein régime.

Après les quartiers de tartes et les tasses de café arriva l'heure de se mettre à table pour partager des tartines couvertes d'une bonne couche de pâté avec les cornichons du jardin.

Le soir était tombé et notre hôte nous proposa une séance de cinéma ! ! !

Diana son épouse accrocha un drap sur la cheminée et Pierre installa son projecteur sur la table de cuisine. A ses côtés, une caisse renfermait des petites merveilles. Dans un bruit saccadé reconnaissable entre tous, s'agitait sur l'écran : « CHARLOT, LAUREL et HARDY , des dessins animés... des heures de rêves.

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Les rires couvraient le bruit de l'appareil. Les bonds sur les chaises risquaient de mettre à mal le mobilier.

Personne n'avait pensé à regarder l'horloge : vingt trois heures. Il nous restait trois bons quarts d'heure de marche et un « chemin noir » aussi noir que son nom l'indiquait pour rentrer.

Cette soirée revenait à mon esprit chaque fois qu'en passant dans le centre de Liévin,
je pouvais observer des caméras dans la vitrine d'un photographe. 

Sur leur présentoir, elles me faisaient languir et me confortaient dans mon désir d'en avoir une ,un jour . Celle avec une manivelle et sa tourelle à trois objectifs avait mes faveurs.

VISCONTI, RENOIR, René CLAIR, COCTEAU n'avaient qu'à bien se tenir.

Je demandai une caméra au Père Noël.

Si mon souhait ne fut pas exaucé tout de suite, il fut « entendu ». Le 10 novembre 1959, sur son lit de mort, mon père rappela à ma mère sa promesse. J'eus ma première caméra en 1967...et depuis tous les faits de la vie sont immortalisés.


1950 Quand les souvenirs flirtent avec le présent

http://www.laprovence.com/article/france/les-pigeons-voyageurs-cest-son-dada

Voilà le genre d’article qui vous ramène 60 ans en arrière.

Dimanche matin, 7 heures, Radio Lille retransmettait la météo et les heures de lâchers de pigeons.

« 6 heures 30, ALBERT météo , vent ouest à pluvieux 6 heures 45, ORLEANS météo, orageux à couvert… »

Et ainsi toutes les stations de lâchers de pigeons étaient passées en revue.


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Mon grand père, l’oreille collait à sa « TSF » n’aurait pas supporté le moindre bruit. A la fin, il se relevait en disant : « - Ils seront là à 11 heures un quart… »

Alors commençait l’attente. Les plateaux de grains étaient remplis, les abreuvoirs débordés d’eau fraîche, les clavettes qui fermaient l’entrée du pigeonnier vérifiées… Il tournait en rond dans la cour , s’occupant de ses coqs, ramassait les œufs, fumait une dernière cigarette avant l’heure fatidique. Les premières vagues filaient au ras des toits dans un claquement d’ailes que rien ne peut faire oublier. « - C’est « ALBERT », encore un quart d’heure.

Puis, enfin le point noir qui grossissait et qui venait se poser sur le toit en moins de 3 secondes. Quelques roucoulements et le héros du jour qui plongeait dans son pigeonnier. Mon grand père franchissait les douze barreaux de l’échelle en trois enjambées.

Puis dans l’univers du pigeon, il attrapait l’athlète d’une main sûre, lui enlevait la bague de couleur, la mettait dans le constateur et, clic d’un coup sec, il pointait l’heure de l’arrivée. 10 secondes s’étaient écoulées..

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Alors, malheur au « m’as-tu vu » qui se posant sur le toit, voletait sur l’arbre du voisin, puis paradait sur la faîtière durant des minutes sans souci de son avenir qui était déjà tout tracé : le pigeon aux petits pois du lundi !



1950 : La mauvaise « bonne idée »


Le bruit avait couru qu’une nouvelle fosse allait être différente des autres par son absence de chevalements visibles : le 19 de Loos en Gohelle. Elle aurait un terril à ses côtés.

Déjà  les entreprises de bâtiments  avaient trouvé une décharge sauvage pour leurs déchets...

Mon grand-père avait vu les amoncellements de briques, tuiles, bois ou tôles rouillées. Il avait donc décidé de construire des nouveaux pigeonniers avec ces rejets bons marchés. Il remit en état un vieux char à banc réduit à sa plus simple expression : deux roues, deux brancards et une plate forme. Il pourrait ainsi faire plusieurs brouettes de briques en un seul voyage…

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Nous voilà donc partis... le passage à niveau du 16 de Lens, puis la rue de La Liberté.

Chaque fois que j’empruntais ce chemin , je ne pouvais me demander , avec curiosité, ce que la maison de « l’original » allait nous faire découvrir ! Située face à la rue Saint Pierre, elle se remarquait avec ses murs doublés de vitres pour faire un chauffage gratuit .( Un écolo avant l’heure.) J'y voyais des gerbes d’étincelles dans la lumière aveuglante de l’arc électrique.

Notre inventeur inventait.
N’avait-il pas fait une machine à laver en tôles galvanisées pour ma grand-mère ? Ancêtre de nos machines actuelles , elle était carrée avec une roue à ailettes sur un plan inclinée dans le fond de la cuve. 

Elle n'avait rien à voir avec les machines en bois de l’époque.

Cette maison passée, nous continuâmes vers le « retour-d’air » du haut de la rue, et derrière, nous découvrîmes la décharge.

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J'escaladais les monts à la recherche de trésors. Mon grand-père d’un coup sec de sa massette décollait des briques . Puis d’un autre coup précis de sa truelle, il faisait sauter le mortier pour faire apparaître une brique « décrottée ». Après un travail acharné, le char à banc fut chargé. 

Mon grand-père semblable à un cheval tirait de toutes ses forces . Moi, je faisais semblant de pousser… Nous nous retrouvâmes en haut de la rue de La Liberté.

Commença alors la descente beaucoup moins pénible. Mais mon aïeul avait oublié son poids ( 50 kg ) pour freiner le chargement. « L’attelage » prenant de la vitesse, il essaya désespérément de ralentir un mettant la roue dans le caniveau… Arc-bouté sur ses talons, il tenta de freiner. Mais, il accélérait, trottinait, courait, ne courait plus…porté par les brancards du char à banc…Et catastrophe ! Toutes les briques volèrent dans tous les coins, le chariot sur le dos et mon grand père les quatre fers en l’air.

Oh, miracle, aucun de nous deux ne fût blessé. Penauds, nous rentrâmes avec deux rangs de briques, et il refit les autres voyages avec sa bonne vieille brouette.

À suivre