L'histoire par le trou de la serrure

De Wikicitoyenlievin.

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1955  Découverte du bois de Riaumont
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Elève en classe de sixième, je n’avais pas pu apporté un vieux livre à faire relier
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car nous n’en avions pas à la maison. Mon père et ma mère lisaient le journal « Nord Matin ».
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Mes professeurs Messieurs L et P. se partageaient donc la classe tous les samedis après midi. Une partie reliait des livres avec les  quatre presses de la classe et je suivais la progression du travail  de mes camarades en rentrant de sport  en fin de journée. Les autres, nous quittions l’école Paul Bert avec M.P, notre professeur de sport, vers le jardin public , puis grimpions une petite décharge derrière le centre médical et arrivions sur la colline puis  la lisière du bois de Riaumont.
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Dernières consignes : « -Je veux voir tout le monde au troisième coup de sifflet, compris ! »
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La vingtaine d’élèves se dispersait alors dans le bois, recherchant les trous d’eau pour y faire des rencontres, ou encore organisait un  grand saccage de branches pour  le plaisir …J’ai ainsi appris à connaître tous les coins du bois : ceux avec les amoureux, ceux avec des casemates, ceux qui donnaient sur la rue Thiers et ses petites boutiques… Pendant ce temps, notre professeur tapait le carton avec trois élèves dans une petite clairière au gazon rasé. Quand il faisait froid, nous avions droit à deux tours de la grande prairie sur le plateau puis à un court match de foot. Après, tout le monde se retrouvait à l’abri du vent dans la forêt. J’ai bien aimé ces cours de sport.
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1948 Georges GOHELLE cité Saint Amé
1948 Georges GOHELLE cité Saint Amé

Version du 11 mai 2011 à 14:45

1955   Découverte du bois de Riaumont


Elève en classe de sixième, je n’avais pas pu apporté un vieux livre à faire relier car nous n’en avions pas à la maison. Mon père et ma mère lisaient le journal « Nord Matin ». Mes professeurs Messieurs L et P. se partageaient donc la classe tous les samedis après midi. Une partie reliait des livres avec les quatre presses de la classe et je suivais la progression du travail de mes camarades en rentrant de sport en fin de journée. Les autres, nous quittions l’école Paul Bert avec M.P, notre professeur de sport, vers le jardin public , puis grimpions une petite décharge derrière le centre médical et arrivions sur la colline puis la lisière du bois de Riaumont. Dernières consignes : « -Je veux voir tout le monde au troisième coup de sifflet, compris ! » La vingtaine d’élèves se dispersait alors dans le bois, recherchant les trous d’eau pour y faire des rencontres, ou encore organisait un grand saccage de branches pour le plaisir …J’ai ainsi appris à connaître tous les coins du bois : ceux avec les amoureux, ceux avec des casemates, ceux qui donnaient sur la rue Thiers et ses petites boutiques… Pendant ce temps, notre professeur tapait le carton avec trois élèves dans une petite clairière au gazon rasé. Quand il faisait froid, nous avions droit à deux tours de la grande prairie sur le plateau puis à un court match de foot. Après, tout le monde se retrouvait à l’abri du vent dans la forêt. J’ai bien aimé ces cours de sport.



1948 Georges GOHELLE cité Saint Amé

Du haut de mes cinq ans, revenant de l’école, mon attention fut attirée par le « mirador » installé devant la rue Edison. Plus étrange, les rails posés sur la rue Montgolfier… Tout le carrefour semblait en émoi. J’assistais au tournage du « POINT DU JOUR ». Je n’ai aucun souvenir de Georges GOHELLE, alias Michel PICOLI, ou de Jean DESAILLY «  Larzac ».Mais il me semblait que quelque chose d’important, d’inhabituel se passait. Les projecteurs allumés en plein jour me rappelait que ma mère me disait : « n’oublie pas d 'éteindre la lumière ! » Puis nous eûmes droit à une ducasse avec le « casse-gueule » qui me faisait froid dans le dos… Mais pour le mot : « action… »

Je préfère ce jour de la même année , ou jouant dans le fond de mon jardin, près de la rue Montgolfier, j’entendis un grondement sourd se rapprochant, s’amplifiant… Je tournais mon regard vers ce bruit et un pan de mur de la fosse Saint Amé s’écroula : une chenillette en sortit . La grève de 1948 battait son plein. J’y appris que l’ « élingue » que mon père avait dans l’escalier de la cave et qu’il mettait dans ses chaussettes pour aller au travail pouvait être une arme redoutable. Ce bout de câble de 50 cm relié par une corde pour le poignet et le boulon soudé à l’autre bout pouvait rivaliser avec n’importe quelle matraque. J’espère qu’elle n’a jamais servi. Tantôt blanc, tantôt noir…



1983 Ma dernière 2 CV


C’était un de ces soirs d’automne où l’on est bien mieux au chaud que sur la route. La pluie était tombée toute la journée avec des bourrasques de vent qui tourbillonnaient et vous mouillaient jusqu’aux os. Je préparais le repas du soir en attendant ma femme qui devait rentrer de son travail à Carvin. La nuit était tombée et rendait encore plus précieux la chaleur d’un foyer. Le téléphone sonna. « -Monsieur HENAUT ?- oui…-Votre épouse vient d’avoir un accident au 4 de Lens…-Comment va-t-elle ? – Je ne peux rien vous dire au téléphone … -Où a eu lieu l’accident ? – Dans la cité du 4 aux croisements des rues Saint Théodore et Saint Amé…- J’arrive … » Durant les cinq minutes de trajet, mille questions me montaient à la tête. J’arrivai. Un attroupement d’une cinquantaine de personnes bloquait le carrefour. Je m’approchai d’un policier qui prenait la déposition d’une dame qui avait vu l’accident en sortant de chez elle pour fermer ses volets. Je découvris alors la scène. Ma 2 CV était couchée sur le côté, coupée en deux, encastrée entre la première maison de la cité et un gros platane, les roues côté rue, toute la partie vitrée explosée : plus de pare brise, de fenêtres, plus de capote…la porte du coffre qui volait au vent ! Mon sang se glaça. Comment survivre avec de tels dégâts ? Le policier m’indiqua que ma femme était dans l’ambulance. Je présentai le pire. Je m’approchai, ouvris la porte arrière…Personne ! Une dame me cria « -Elle est devant. » Trois pas et, elle était là …discutant avec l’ambulancier… « Comment tu vas ? Comment es-tu sortie ?- A quatre pattes par le coffre ? -Qu’est-ce qui est arrivé ? – Je sais pas , j’ai rien vu !!! »Je retournai voir le policier qui finissait de prendre la déclaration quand une voiture arriva par la rue Saint Théodore. L’agent de police se fraya un chemin parmi les personnes pour faire libérer le passage quand une dame l’attrapa par la manche et cria : « C’est la voiture ! » Le policier fit garer la voiture . « Monsieur Mohammed K. » ne se souvenait de rien…peut-être un petit choc…mais avec la pluie ! Le pare choc avant gauche et son aile, eux, se souvenaient du choc et de la couleur bleue de ma « dedeuche ». Il rejoignit le fourgon pour sa déposition pendant que la dépanneuse extirpa ma 2 CV de sa position si inhabituelle pour elle. Pendant ce temps, le vent finissait de libérer de son coffre les dernières affiches électorales qui auraient dû fleurir sur les murs de Liévin et qui tapissaient maintenant tantôt à l’endroit, tantôt à l’envers, le carrefour, la pluie faisant à cette occasion office de colle. Ah quoi peut se perdre une élection ! ( Je plaisante…) Monsieur Mohammed B. pourra relire le roman de James M. CAIN : « Le facteur sonne toujours deux fois. »




1950 : La mauvaise « bonne idée ».


Le bruit avait couru qu’une nouvelle fosse allait être différente des autres par son absence de chevalements visibles : le 19 de Loos en Gohelle. Elle aurait un terril à côté. Déjà les entreprises de bâtiments avaient trouvé une décharge sauvage pour leurs déchets. Mon grand-père avait vu les amoncellements de briques, tuiles, bois ou tôles rouillées. Il avait donc décidé de construire de nouveaux pigeonniers avec ces rejets bon marché. Il remit en état un vieux char à banc réduit à sa plus simple expression : deux roues, deux brancards et une plate forme. Il pourrait ainsi faire plusieurs brouettes de briques en un seul voyage… Nous voilà donc partis, le passage à niveau du 16 de Lens, puis la rue de La Liberté. Chaque fois que j’empruntais cette rue, je ne pouvais me demander , avec inquiétude, ce que la maison de « l’original » allait nous faire découvrir ! Située face à la rue Saint Pierre, elle se remarquait avec ses murs doublés de vitres pour faire un chauffage gratuit .( Un écolo avant l’heure.) J'y voyais des gerbes d’étincelles dans la lumière aveuglante de l’arc électrique. Notre inventeur inventait. N’avait-il pas fait une machine à laver en tôles galvanisées pour ma grand-mère ? Ancêtre de nos machines actuelles , elle était carrée avec une roue à ailettes sur un plan inclinée dans le fond de la cuve. Rien à voir avec les machines en bois de l’époque. Passé cette maison, nous continuâmes vers le « retour-d’air » du haut de la rue, puis derrière, nous découvrîmes la décharge. J'escaladais les monts à la recherche de belles briques. Mon grand-père d’un coup sec de sa massette décollait les briques. Puis d’un autre coup précis de sa truelle, il faisait sauter le mortier pour faire apparaître une brique « décrottée ». Après un travail acharné, le char à banc était chargé. Voilà mon grand-père qui, semblable à un cheval tirait de toutes ses forces …Et nous nous retrouvâmes en haut de la rue de La Liberté. Commença alors la descente. Mais mon aïeul avait oublié son poids ( 50 kg ) pour freiner le chargement. L’attelage prenant de la vitesse, il essaya désespérément de ralentir un mettant la roue dans le caniveau…Arc-bouté sur ses talons, il tenta de freiner. Mais, il accéléra, trottina, courut, ne courut plus…porté par les brancards du char à banc…Et catastrophe ! Toutes les briques volèrent dans tous les coins, le chariot sur le dos et mon grand père les fesses en l’air .Oh, miracle, aucun de nous deux ne fût blessé. Penauds, nous rentrâmes avec deux rangs de briques, et il refit les autres voyages avec sa bonne vieille brouette.




1977 La soirée extraordinaire.


Nous avions coutume, avec mon épouse, de passer dire un petit bonsoir à la tante Elisabeth L. Elle avait tenu un café aux « Marionnettes » rue de Cracovie : « Le Rendez-Vous des Chasseurs » ( et quels chasseurs !) Mais elle tenait maintenant la guinguette de Vimy, rue Sadi Carnot. En cet fin d’après midi , nous constations qu’elle avait un problème. Depuis plusieurs années elle avait comme pensionnaire Martin K.. Il avait appris le matin le décès de sa sœur. Tante Elisabeth, occupée par des ouvriers qui faisaient de menus travaux, ne pouvait pas conduire Martin revoir sa sœur avant la mise en bière. Elle me demanda donc si je ne pouvais pas la remplacer. Et nous voilà parti, Martin et moi, pour la cité du Tonkin à Meurchin. Ce service ne me plaisait pas beaucoup, n’ayant jamais vu de mort à ce jour…Mais… Une femme blonde en pull blanc et jeans, aussi moulant l’un que l’autre, nous ouvrit et accueillit. C’était une nièce de Martin, une fille de la morte. Après l’accolade sur le pas de la porte, nous entrâmes. La morte était allongée sur le divan, en chemise de nuit , pantoufles aux pieds, un mouchoir sur le visage, un chapelet entre les mains jointes… Martin se mit à genou, enleva le mouchoir et embrassa sa sœur avec tout l’enthousiasme de ceux qui ont vécu durement dans la cité des Garennes à Liévin et que la mort ne semble pas pouvoir séparer. Plusieurs minutes d’émotion et de larmes. Puis chacun s’assit autour de la table de la salle à manger et la nièce nous versa un verre qui viendrait compléter la vaisselle qui occupait la table. 3 ou 4 litres de vin vides, et une dizaine de canettes tenaient compagnie à quelques petites assiettes qui avaient dû contenir des biscuits. Martin demanda les nouvelles de circonstances : comment, quand, a-t-elle souffert ? Puis vinrent les questions plus inattendues : depuis quand es-tu sortie de prison ? (Elle avait tué son mari d’un coup de couteau, un soir où il la battait comme à son habitude….) Mère de huit enfants, elle avait « tout » pour ne pas le faire savoir : taille, allure, silhouette. Puis des coups à la porte annonçèrent de nouvelles visites. La morte ayant de nombreux enfants, petits enfants et arrières petits enfants, nous nous retrouvâmes bientôt une bonne vingtaine, voire trente. La bière et le vin accueillaient à chaque fois les arrivants. Martin retrouvait ainsi, des frères, des sœurs, des neveux et des nièces perdus de vue. Il arrosait d’un verre de rouge chaque souvenir. Les petits avaient pris place à côté de « mamie » sur le canapé. Ils comptaient les perles du chapelet, lui faisaient des baisers, lui caressaient les mains. Elle n’était plus morte, elle dormait au milieu de sa famille. Puis la mémoire polonaise reprenant le dessus, Martin se risqua à fredonner faiblement une chanson de leur jeunesse. Ecouté avec émotion, il arracha des uns et des autres quelques mots de leur chanson. Puis, le murmure pris de l’assurance, et les chansons de leur folklore bercèrent « la Mamie endormie ».De la jeunesse on passa tout naturellement à l’adolescence, aux bals, aux chansons qui font l’âme polonaise. Martin, debout, retrouvant sa jeunesse, emmena sa nièce dans quelques pas de danse dans les accents des chants slaves. Seuls les petits enfants « s’occupaient » encore de leur Mamie. Les adultes, sautant d’une d’anecdote à l’autre, d’un souvenir à un problème du lendemain, enfumaient tant la pièce que l’ambiance devenait londonienne par jour de brouillard. Il fallait maintenant se quitter et rentrer à Vimy…Puis, ayant déposé Martin qui avait déjà commençait sa nuit durant le retour, avec mon épouse et les enfants, nous rentrâmes à Liévin en passant par le monument canadien. Dans les phares de la 2 CV galopaient des dizaines de lapins…mais nul « képis » ouf !!! Seul, le cinéaste espagnol Luis Bunel aurait pu imaginer et réaliser le film de cette soirée. Paix éternelle à Mamie…





1960 le coq de combat

Comme disait ma grand-mère « - Ton grand-père a tous les vices ! » Il était « coqueleux et coulonneux… » Avec sa vingtaine de coqs et ses 70 pigeons, il n’avait pas de quoi perdre une minute. 4 ou 5 coqs lui appartenaient et les autres étaient en pension. Dans le lot, il y avait une quinzaine de coquelets qui montraient toutes leurs couleurs et leur appétit vorace au bruit de la gamelle de grains. Mais, c’étaient les coqs adultes qui retenaient toute son attention. Après les vaccins, venait l’entraînement en vue d’un prochain combat. Il fallait les manier avec une grande méfiance. Malgré cela, un jour, un de ses pensionnaires lui avait ouvert la joue sur 6 ou 7 cm d’un coup de bec. Alors en premier, tenir son visage hors de portée de l’animal, en le tenant fermement sous le bras gauche, ses pattes dans la main. Alors mon grand-père en quelques coups de couteau lui taillait l’ergot , un coup de tisonnier chauffé au rouge arrondissait celui-ci. Puis, un gros morceau de coton , maintenu par un capuchon de cuir allait empêcher les coups mortels. Quand 2 coqs étaient ainsi équipés, il fallait faire les présentations : bec à bec ! La poussée d’adrénaline mettait alors nos deux animaux en transe, plumes hérissées, regards fixes, bec entr’ouvert, corps raidi. Il n’y avait plus qu à les déposer dans la cour pour un combat de 10 à 15 secondes. Enfin, il fallait récupérer nos deux bagarreurs sans les blesser ou se faire blesser. Ainsi préparés, leur avenir devenait incertain le dimanche suivant : vainqueur ou vaincu ? De toute manière, durant la période des combats, le menu de lundi chez ma grand-mère était souvent immuable : coq au vin…


1952 : Arrivée de la télévision à Liévin

Fin juin 1952, nous étions allés passer quelques jours chez Jean V. un cousin de ma mère à Tourcoing. Personnage inoubliable, haut en couleur. Venant de quitter la rue Papin pour la rue Du Colonel Renard, j’étais davantage habitué aux casquettes et aux bleus de travail qu’au costume cravate et chapeau qu’il portait pour son travail dans une banque. De sa jeunesse d’apprenti boxeur, il avait gardé une oreille en chou fleur. Et de son passage dans la résistance, il rayonnait une joie de vivre que rien ne semblait pouvoir altérer. Il possédait un berger allemand qui avait décidé, à la grande joie de son épouse Denise, de passer ses nuits sur la table de cuisine. Attention à la vaiselle oubliée…Sa voiture était une Ford des années 1930, pour moi : l’auto de CHARLOT.

Mais ce cousin, si original, avait aussi une télévision !

Je crois que mes yeux sont restés bloqués sur cet objet sans pouvoir les en détourner. Imaginez un écran de 36 cm dans une énorme caisse avec des images qui bougent et qui parlent…comme au cinéma ! Une séquence me revient à la mémoire comme un souvenir d’hier. Un homme saute à la perche 4m. Il s’agissait des championnat de France qui étaient retransmis de Paris. La prouesse technique n’était possible que depuis février 1952. ( J’ai vérifié la véracité des faits sur internet ). Rentré à la maison, j’ai raconté tout cela à mon père. Comme à son habitude, il n’avait rien dit, mais une idée avait germé dans son esprit. Il s’achèterait aussi une télé avec la prime à la naissance de mon frère…J’entends déjà vos commentaires. Non, nous ne manquions de rien. Mon père ne buvait pas, ne sortait pas, et ne fumait qu’un paquet de « Bleu » par semaine. Il voulait que son repos dominical, et la détente profitent à tous.

Et voilà donc toute la famille qui prend le bus pour Lens et les Etablissements Lefebvre 

sur le Boulevard Basly , les seuls à vendre des télévisons. Quelques jours plus tard, des ouvriers installent le râteau sur le toit, et notre télé reçoit ses premières images (en 43 cm ).Nous sommes les deuxièmes de Liévin après le « café de l’Habitude » rue Montgolfier, les précurseurs. Nous étions sur la langue des gens, les ragots allaient bon train, même dans la famille. Mon père s’en moquait. Mais, il a dû mettre dehors pas mal d’anciens amis qui se rappelaient à notre bon souvenir…Impossible de regarder « Trente six chandelles », l’émission phare, jusque minuit et de se lever à 4 heures pour le poste du matin ! Mais, il y avait aussi de bons moments. Un jour, ma mère avait invité notre voisine à venir voir la télé. Elles tricotaient en attendant leur mari. La soirée se passa calmement jusqu’au match de catch. Le « méchant Delaporte » a eu raison du tricot de notre voisine qui tirait inconsciemment sur ses « points » et lorsque mon père rentra, il trouva celle-ci au milieu d’un amas de fils entre mêlés, cassés, tortillés, et 2 aiguilles inutiles… Vive la télé…



'Le Père Noël du 24 décembre 1974


.Bélisaire et Joséphine, l’oncle et la tante de mon épouse, nous avaient invité à faire réveillon chez eux rue Théophile Gautier. Leur maison sentait des odeurs de fête. Dans l’arrière cuisine sur une petite table, refroidissait une tarte, et sur la cuisinière les marmites lâchaient toutes les senteurs d’un repas qui s’annonçait excellent. Joséphine était bonne cuisinière et s’évertuait à toujours nous surprendre par des recettes dont elle était fière. Elle avait demandé à Bélisaire de nous préparer son apéritif préféré : un « alexandra », cocktail dont elle avait sa propre recette : cognac, crème de cacao et lait condensé… Bélisaire s’était exécuté et avait préparé les verres sur la table de la salle à manger. Seule Joséphine avait remarqué qu’il y avait une verre en trop. Pierre et Marie , nos enfants, racontaient l’émerveillement des décorations de Noël à la tante qui les écoutait avec un petit sourire aux coins des lèvres. Des coups à la porte arrêtent les conversations, et l’oncle ouvre la porte : LE PERE NOEL ! Des yeux se vont plus brillants, et notre invité surprise entre dans la salle manger. « - Etes-vous sages ? travaillez-vous bien à l’école ?… » Et toutes les questions de circonstances se suivent. Les cadeaux, la poupée, la voiture, les bonbons…Puis le moment des adieux. « -Père Noël prenez-vous l’apéro avec nous ? – Non, je ne peux pas, vous savez si je commence, je ne pourrai pas terminer ma distribution… Mais, après tout, puisque les petits sont gentils…je vais faire une exception… » Et voilà notre verre supplémentaire utilisé ! Bélisaire avait dit à Edmond, son voisin, de venir faire le Père Noël quand il aurait vu notre 2CV devant la maison. Puis, notre invité surprise nous souhaita un bon réveillon et repartit chez les siens… A 6h17, le vendredi 27 décembre 1974, Edmond KACZMAREK nous quittait avec 41 autres mineurs dans la catastrophe minière de Saint AME… Adieu Père Noël.


1954 printemps :La « quinzaine »


La douceur, le ciel bleu semé de quelques nuages avaient laissé entrevoir l’arrivée du printemps. J’avais donc pu jouer « dehors » , dans la rue, comme les autres enfants. Les 2 voitures qui passaient par jour ne pouvaient pas nous mettre en danger. Et le cheval tirant le chargement de bière n’était que l’occasion de nous faire une ballade gratuite jusqu’à l’entrée de la rue James Watt. ça sentait déjà les prochaines grandes vacances. Tout à coup, mon regard fut attiré par un bout de carton de couleur brique dans le caniveau… -Le carton qui permettait aux mineurs de toucher leur « quinzaine ». Je m’approche, le ramasse, l’ouvre : la fiche de paie, quelques billets de banque et la monnaie roulée dans un billet… Je cours porter ce petit pactole à ma mère. La fiche de paie portait l’inscription : Mohamed X…etc… Que faire ? Pour moi, la seule chose qui m’importait , était l’arrivée de Madame G. avec son chargement de livres. Elle portait à domicile, chaque semaine, les abonnements de chacun. Et moi, j’attendais Le Pèlerin…et surtout Pat’Apouf ! Et voilà justement sa mobylette, avec ses deux gros sacs et son cageot sur le porte bagage, qui débouche au coin de la rue Edison. Elle s’arrête devant notre maison, sort le « Nous Deux » et mon magazine de l’un de ses sacs et entre dans la cour. Ma mère est toujours à regarder sur la table de cuisine le petit trésor que j’ai rapporté. « -Regardez, Madame G. ce qu’Albert à trouvé ! » Un rapide coup d’œil de Madame G qui annonce : « - Je sais où il reste, car j’ai une cliente qui est sa voisine. C’est rue Lully dans la cité Magnesse… » Comment cet argent s’est –il retrouvé à 3 km de sa destination ? Madame G. annonce que sa tournée est pratiquement finie et qu’elle peut m’y conduire. Quelques minutes plus tard je la suis avec mon vélo. Le faux plat de la rue Montgolfier a vite raison de mon ardeur à vouloir suivre la mobylette. Elle ralentit et m’attend. Le pont Planard au dessus des voix de chemin fer , puis la cité et ses rues de terre, de cailloux, de flaques. Rue Lully nous posons nos véhicules et frappons à la porte. Une dame nous ouvre, les larmes dans les yeux et demande dans un français hésitant le sujet de notre venue. Madame G dit : «  - On peut rentrer, le petit à quelque chose pour vous ? »La dame s’efface et nous pénétrons dans la cuisine. Mohamed X est là, assis à côté de son poêle, le pied sur le bac à charbon, la tête appuyée sur sa main, le regard vague… Je sors alors de la poche intérieure de mon blouson, la paie que j’avais tâtée tout au long de la route pour être sûr de ne pas la perdre. Deux cris… Deux regards fous… Deux joies incontrôlables… Deux têtes d’enfants qui passent par l’entrebâillement de la porte de salon… Deux étreintes…qui m’empêchent de respirer… Deux minutes de vrai bonheur… Pour la première fois de ma vie j’ai goûté au thé à la menthe…et aux pâtisseries aux goûts d’ailleurs… Je n’ai jamais revu cette famille. 10 ans plus tard, rue Henri Martin, dans un petit chalet au fond du jardin, Madame G. deviendra locataire de ma mère jusqu’à sa mort et celle de son époux.



== juin 1952

9 ans et « faire briquet avec s’in père » ==


!

16h30 un samedi de juin 1952… La cloche de l’école du 3 de Lens vient de sonner et toutes les classes sortent. Il n’y a pas d’étude le samedi. Des groupes se répartissent le terre-plein devant le portail et les parties de billes peuvent commencer. Les « paquets » explosés rapportent des poches de billes aux gagnants. 10 mn, 1 quart d’heure plus tard, résistent un ou deux groupes…Puis c’est le départ triomphal des derniers gagnants. La place se vide…et j’attendais ce moment. Je m’approche de la petite porte en fer à droite de l’entrée de la fosse Saint Amé. Je la pousse et pénètre dans la cour étrangement vide et silencieuse. A droite la grande salle où sont payées les « quinzaines », à gauche la grosse meule et le poste de garde. Sa porte et ouverte et seul un garde des mines relit des notes. D’un coup de tête, il me fait signe d’approcher. Je lui explique me mon père est lampiste et qu’il a oublié son repas que je lui apporte. D’un autre cou de tête, sans un mot, il me fait signe que je peux y aller. Je traverse alors la grande cour si animée à mes autres visites, et pour cause, les jours de paie. Entre le chevalet en fer et celui en béton, l’entrée de la fosse. Une lourde porte en fer que je peine à ouvrir. Des portes ouvertes des lavabos s’échappent encore des relents d’humidité. Le calme, l’ombre, des bruits profonds qui viennent d’on ne sait où. Mon père est là derrière son mur grillagé. Il m’ouvre la porte et me voilà au milieu de centaines de lampes de mineurs. Les lampes électriques à barrette, et beaucoup moins nombreuses, l’étagère des lampes à benzine. Mon père me montre comment ouvrir une de ces lampes en l’approchant d’un puissant électro-aimant dissimulé sous le guichet. Il devient alors possible d’en faire tourner la tête et de l’ouvrir. Il était occupé à cette tâche à mon arrivée afin faire le plein de liquide, ou de remettre une pierre à briquet pour l’allumage. Tout à coup, la lourde porte d’entrée émet un bruit et un pas se fait entendre. Mon père me pousse dans un placard et referme la porte. Je l’entends parler à son interlocuteur, mais le dialogue et étouffé et incompréhensible pour mes oreilles de gamins de 9 ans. Puis le silence revient, et mon père me libère : c’était le chef-porion qui avait besoin d’un renseignement. Nous nous installons alors tout les deux auprès d’un lourd établi et sur son conseil je commence à astiquer une lampe qui brillait déjà avant mon travail, mais va savoir ! Je faisais briller les cuivres de la lampe de l’ingénieur… Puis mon père a ouvert sa musette et a sorti son casse croûte : tartines au saindoux et « boutelot » de café allongé à l’eau… Ce n’était pas vraiment du pain d’alouette car il n’était pas descendu au fond, mais c’était un régal qu’il m’arrive encore de perpétuer les soirs de fringale. L’ingénieur n’a jamais su qu’un enfant de 9 ans avait fait briller sa lampe et fait briquet avec s’in père dans la fosse Saint d’Amé du 3 de lens. Que de souvenirs…




Noël 1952


C’est mon Noël. En 1950 j’avais eu un train électrique avec trois wagons qui déraillaient sans arrêt. Je n’avais pas le droit d’y toucher, car il y avait de l’électricité. En 1951, j’ai eu un vélo, un bâtard, pas à trois roues, ni un vélo d’adulte, entre les deux. Un nombre de blessures à bloquer les urgences ! Mais depuis plusieurs années, je demandais à ma maman, un « petit » frère ! Sans réponse. Et voilà qu’arrive 1952. Mai, juin on me laisse entendre que, peut être, si « je suis sage », j’aurai un petit frère. Pas question, je le veux pour Noël ! On m’explique que le Père Noël peut avoir du retard, ou de l’avance… Les visites que nous avions faites à (Marie P…) la sage femme nous avaient laissés sur notre faim. Bref, on me maintenait dans l’espoir d’avoir un petit frère ( ? )mais à une date…imprévisible.

Décembre, nuageux, neigeux, froid

Décembre arrive et la famille décide de me mettre en « vacances » chez ma grand- mère, rue Jules Guesde. 25 Décembre 1952 Ma grand-mère était partie tôt le matin avant mon réveil. 9 heures, mon grand-père et moi rejoignons les pieds dans la neige la rue du Colonel Renard. Effervescence devant notre numéro deux…. « Les mères chrétiennes occupaient la place. » On me demande de dire bonjour, puis, on me laisse monter dans la chambre côté ouest. Arrivé, à l’étage, je vois ma mère alitée un peu rouge avec M.P., la sage femme, et un petit lit… …Mille milliards, comment exprimer la réalisation d’un désir aussi fou ? Ce petit frère…le jour de Noël… ( prévu pour le 25 janvier !) Le loto d’aujourd’hui, même super, ne peut pas exprimer la bouffée de joie qui m’envahit ! Non, je rêve, on me trompe, on me met un train inutilisable, un vélo trop grand… Et si c’était une fille…une sœur ? Ma retenue, mon retrait, intrigue la sage femme et ma mère qui me demande ; «  Qu’est-ce que tu as, tu l’as ton petit frère. » « - Je veux voir si c’est un frère !!!!!!! » Marie P. déshabillera le nouveau-né pour me convaincre… Je l’ai alors serré si fort dans mes bras qu’il a fallu me faire lâcher prise. Mon frère s’appelle Noël.

À suivre