1962-1993-2002
De Wikicitoyenlievin.
1962-1993-2002
Les jours que l'on ne peut pas oublier
1962
Tous les quinze jours, mon parrain venait de Châtou dans la région parisienne avec sa 2 CV bleue.
Il supervisait et aidait à la construction de la maison de ma maman .
Un samedi soir , après avoir travaillé toute la journée à la pose de l’installation électrique, nous décidâmes d’aller prendre un verre « Au Cendrier »,
un café de la place Gambetta.
C’était pour moi l’occasion de rencontrer une famille que j’avais vue à la rentrée des classes.
Les propriétaires allaient de table en table dans une épaisse fumée en adressant un mot à chacun dans un immense brouhaha.
La salle était pleine et nous avions pu avoir une table près du comptoir.
Madame V. me salua et me demanda un rapide « comment travaillent mes garçons ? » J’avais ses deux petits hommes en classe…
Mon cousin avait connu ce café et lui rappelait sa jeunesse. Mais les temps avaient changé et la clientèle avec.
La majorité des consommateurs était algérienne. Nous prîmes une bière puis nous rentrâmes.
Une semaine plus tard, le lundi matin, en arrivant à l’école, le surveillant m’annonça que le directeur désirait me voir avant la classe.
Que pouvait-il avoir à me dire d’aussi urgent ?
Sa phrase résonne encore à mes oreilles : « M. et Mme V. ont été assassinés samedi soir, d’une rafale de mitraillette dans leur café ! » …
Les attentats du FLN faisaient rage ...
1993
Je traversai la cour à la rencontre de Madame X . Cette dame que je rencontrais régulièrement était joviale et consciente des difficultés de sa fille en classe.
Arrivé près d’elle, son allure raide, son regard fixe me laissèrent perplexe. Aussitôt, elle demanda à sa maman qui l’accompagnait de conduire la petite aux toilettes.
Elle m’annonça aussitôt : « Mon mari s’est suicidé cette nuit, il s’est jeté dans sa machine à chicons !
Ma fille ne sait rien et va habiter quelques jours chez une amie. Je ne veux pas qu’on lui dise. »
2002
L’église, trop petite, laisse une foule émue se recueillir sur le parvis. A l’intérieur, au milieu du chœur repose un petit cercueil.
« Ma petite, mon élève » s’est tuée en utilisant le scooter de sa grande sœur.
En tête défilent tous ces moments, ces rapports intenses entre le maître qui apprend à lire et ce petit « bout de chou ».
Je la revoie à mes côtés ânonnant ses premiers mots, surprenant son regard curieux, ses allures de petite mère…
Je la revoie sur le film de la kermesse...
Que le métier est beau, mais combien laisse-t-il de plaies sans cicatrices?