1961 Garçon de courses

De Wikicitoyenlievin.

                                       1961 Garçon de courses



J'ai commencé ma carrière professionnel à 17 ans comme garçon de course à la BNCI de Lens ( Banque Nationale pour le Commerce et l'Industrie).


                                               Fichier:Place_jean_Jaures.jpg


Bien qu'ayant signé un papier de confidentialité, je pense que 53 ans plus tard il y a prescription.

Cette banque n'existant plus, étant devenue BNP, je pense pouvoir vous confier quelques secrets avec des sommes en anciens francs de l'époque.

Chaque matin, avant 8 h 30, nous devions approvisionner la Sécurité sociale.

Mes six millions dans ma sacoche « piégée » cadenassée à mon poignet et mon sac de jute rempli de monnaie sur le dos, nous prenions la rue Victor Hugo.

Moi devant et mon collègue chargé de ma sécurité 5 m derrière.

Il avait été réformé du service militaire car il était myope comme une taupe.

Cela était visible comme le nez au milieu de la figure avec ses lunettes aux verres de fond de bouteille.

Il n'avait jamais sorti son révolver de son étui et n'avait nullement l’intention de s'en servir.

Mais c'était la consigne.

Puis je sortais le vélo de l'agence, je n'avais pas le droit d'utiliser mon solex.

C'était la consigne.

J'allais de boucheries en magasins de vêtements pour faire signer des factures.

11 heures, Banque de France, le rendez-vous des banquiers, la chambre de compensation.


                                              [[Fichier:Fichier:BF.jpg]]


Le Crédit du Nord, le CNP, la Société Générale, le Crédit Agricole... Tous nous échangions nos chèques.

Il fallait absolument donner un résultat au centime près des échanges.

Mais le sous directeur du Crédit Agricole ( Ils n'étaient que 2, lui et le directeur !) n'avait que 2 ou 3 chèques et terminait son addition avant tout le monde.

Puis il prenait un malin plaisir à nous embrouiller avec les dernières plaisanteries à la mode.

Midi moins le quart, l'employée serviable de la Banque de France (BF)terminait mes comptes …

Puis arrivaient les sorties imprévues.

Le tour de France traversait Lens pour l'étape de Roubaix. Les trottoirs étaient noirs de monde.

C'est ce moment que le Directeur choisit pour m'envoyer faire un dépôt de 38 millions à la BF.

J'avançais au milieu de la foule à coup de « Pardon », « S'il vous plaît »

Des cris et des applaudissements accueillaient chaque voiture de la caravane publicitaire.

J'étais arrivé depuis 5 bonnes minutes quand « mon ange gardien » se pointa à son tour !

Puis arriva l'épisode incroyable : nous avions perdu 40 millions.

Nous devions fournir la paie aux « laminoirs » un matin très tôt.


                                                 Fichier:câbleries.jpg


La somme dépassant les 60 millions, il nous était interdit d'avoir une telle somme dans notre coffre avec notre fond de roulement.

C'était la consigne.

Notre caissier s'y prit comme à son habitude.

Il déposerait 40 millions dans un coffre privé et le reste dans le nôtre.

Le matin de la livraison, nous entassâmes les sacs dans la 2 cv de service d'un jeune « démarcheur ».

Des tables nous attendaient au siège des laminoirs pour étaler notre cargaison.

Rapide calcul des comptables... Il manquait 40 millions !

Nous étions partis sans vider le coffre privé. Retour à notre agence avec notre argent.

C'était la consigne.

Et deuxième voyage au complet.Le révolver roulait sous le siège du conducteur.

Parfois c'était le contraire. Il fallait absolument des liquidités et un déplacement à la BF s'imposait.

Mais évidemment, c'était ce jour-là où les camions de transport de fond arrivaient avec la paie du bassin minier.

La rue de Paris était fermée à la circulation et toute incursion se faisait avec un laisser-passer.

A l'intérieur de la BF, tous les gardes des mines assis autour de la grande salle suivaient les événements.

Quatre caissiers, la petite éponge à leur côté faisaient valser les centaines de millions, les milliards.

D'un geste précis, ils jetaient dans un trou les liasses pour les faire atterrir au sous-sol.

Je devais attendre que l'un d'eux se lève pour prendre ma commande...un petit 15 millions !

Chaque lundi matin arrivait ma pénitence. Je devais collecter la monnaie au presbytère.

Les 2 sacs de ferraille des quêtes du dimanche m'allongeaient les bras.

Un lundi de juin, l’archiprêtre m'ouvrit la porte en personne.

Quelques mots : « -Votre métier vous plaît ? -Qu'avez-vous comme diplôme ? Une école privée ouvre route de Liévin , si cela vous intéresse ? »

Je réfléchirai.

Puis les après-midi à ranger le courrier dans notre « crocodile », terme qui désignait une planche avec un rabat pour chaque lettre de l'alphabet.

Il fallait mettre toutes les missives d'un même client dans une enveloppe unique .

C'était la consigne.

Puis la course contre la montre pour enregistrer le courrier avant la fermeture des guichets de la poste.


                                                   Fichier:Poste.jpg


Sinon il fallait sonner au tri à l'arrière, et malheur si les sacs étaient poinçonnés.

Dernier recours, la gare de Lens et là mes oreilles sifflaient.

Un vendredi de fin juin, le directeur me demanda de donner un coup d'éponge et de peau de chamois à sa voiture pour son départ en week end.

Je ne serai jamais un larbin. C'était ma consigne !

Alors,je me suis souvenu de la proposition de l'archiprêtre.

Je fis un arrêt à l'école après mon travail et je  débutais comme enseignant à la rentrée de septembre.

J'avais 17 ans 10 mois.

À suivre