L'histoire par le trou de la serrure 2
De Wikicitoyenlievin.
1985.03.10 Soirée d élections
La salle des fêtes de la mairie brillait de ces soirs d'élections où tous peuvent encore y croire. La grande porte laissée ouverte donnait un peu de fraîcheur et la fumée des cigarettes, sous les lustres, s'étalait dans un nuage mouvant au gré des courants d'air. Un brouhaha de circonstance faisait penser à l'entrée d'une ruche par un beau jour d'été. Tous attendaient les résultats qui arrivaient émiettés de bureaux en bureaux. Entouré de mes amis, la conversation était ponctuée de « si » ! Et si j'étais élu, et si j'étais battu, et s' il y avait un ballottage...et si...et si... 19h15, l'heure du verdict approchait.
Jean Claude D. un ami des premiers jours, vint de dire à l'oreille : « le candidat du FN est à la porte avec sa femme »...Personne de le connaissait et ne l'avait vu.Son tract de campagne indiquait seulement qu'il était « mineur ».Reculant discrètement tout en discutant, je me rapprochais de la sortie. Ils étaient là, appuyés contre la porte... seuls.
La vue de cet homme déboussolé et de sa femme accrochée à son bras sera sans doute, pour moi, un moment de réflexion. Jusqu'où peut-on aller en politique ? Cet homme, que je pense brave et dont j'ai oublié le nom, était-il conscient de son engagement ?
Des applaudissement accueillent l'arrivée du Maire et des résultats qui seront conformes aux habitudes. Quelques poignées de mains compassionnels se veulent amicales et chacun regagne la sortie.
Sur les marches du perron, quelques sympathisants me saluent pendant que mon regard se retourne une nouvelle fois vers ce couple qui descend à grandes enjambées... Lui dans son costume trop grand, elle avec un manteau de fourrure s'accroche plus que jamais à son bras. Nos regards se croisent et me montrent la profondeur de leur angoisse, de leur peur...
J'ai ressenti pour eux le vide qui les entourait : seuls au milieu de tous ! C'est aussi ça la politique.
2011.11.01 La TOUSSAINT et la"Grande Guerre"
Quand nous remontons dans le nord ( au-dessus de Montélimar) , c’est l’hiver toute l’année, une langue incompréhensible, des repas à rendre malade d’indigestion un centenaire et une envie de travailler qui mettrait en « intempérie » un provençal durant la sieste. Cela étant dit, nous remontons trop peut à notre goût. Il faut des cas de force majeur : décès, mariage.
Mais chacun de nos retours passe obligatoirement par un détour à nos cimetières de Liévin sud et d ‘ Hersin- Coupigny.
Le nettoyage de nos tombes nous semble essentiel. Ce n’est qu’un juste moment de souvenir à nos proches.
Mais, il faut bien le dire, mon épouse ne peut aller en vacances ou en voyage sans visiter le cimetière du coin.
Elle pourra vous dire que les allemands mettent des petites bougies allumées… Que les italiens ont remplacé les bougies par des petites ampoules, qu’en Turquie l’on peut voir des tombes parsemées au milieu de champs et qu’au USA les voitures sont les bienvenues … Contagion oblige, cette dernière quinzaine, je n’ai donc pu échapper à ma visite du petit cimetière de Saint Gervais dans le Gard. En attente d’ un rendez-vous, la visite de ce petit coin de recueillement m’a semblé par ce matin d’automne provençal « un pur bonheur » ! Le calme, la sérénité des lieux, la reprise en main de la nature n’étaient que des étincelles de retour sur soi. L’odeur du buis mouillé et du romarin ne pouvaient échapper à notre odorat. Mais un détail me ramena à mille lieues. Le monument aux morts de la grande guerre « n’avait que deux noms » ! Mon esprit en un instant me ramena en 1917, le chemin des dames, Verdun, la boucherie, l’héroïsme de nos soldats…la mort de Richard CASTELAIN, le premier mari de ma grand mère. Mes tantes Marie et Julia qui avaient fait le voyage de Verdun pour se recueillir sur la tombe de leur père étaient tombées de nues lorsqu’elles découvrirent qu’ on l’avait « oublié » sur le mur du souvenir dans la mairie de Liévin. Après , démarches, certificat de décès, attestations et paperasserie , son nom fut rajouter à la liste.
Ne vous demandez plus pourquoi CASTELLAIN Richard se trouve maintenant le dernier de liste , tout en bas , à droite en bas des escaliers de la mairie. Peu importe l’ordre, il ne faisait pas bon d’y être en ces jours la , mais avons nous encore conscience de ce que NOUS LEUR DEVONS ?
1962- 1993 – 2002 Les jours noirs que l’on ne peut oublier
1962 Tous les quinze jours, mon parrain venait de Châtou dans la région parisienne avec sa 2 CV bleue. Il supervisait et aidait à la construction de la maison de ma maman . Un samedi soir , après avoir travaillé toute la journée à la pose de l’installation électrique, nous décidâmes d’aller prendre un verre « Au Cendrier », un café de la place Gambetta. C’était pour moi l’occasion de rencontrer une famille que j’avais vue à la rentrée des classes. Les propriétaires allaient de table en table dans une épaisse fumée en adressant un mot à chacun dans un immense brouhaha. La salle était pleine et nous avions pu avoir une table près du comptoir. Madame V. me salua et me demanda un rapide « comment travaillent mes garçons ? » J’avais ses 2 petits hommes en classe… Mon cousin avait connu ce café et lui rappelait sa jeunesse. Mais les temps avaient changé et la clientèle avec. La majorité des consommateurs était algérienne. Nous prîmes une bière puis nous rentrâmes. Une semaine plus tard, le lundi matin, en arrivant à l’école, le surveillant m’annonça que le directeur désirait me voir avant la classe. Que pouvait-il avoir à me dire d’aussi urgent ? Sa phrase résonne encore à mes oreilles : « M. et Mme V. ont été assassinés samedi soir, d’une rafale de mitraillette dans leur café ! » …
1993 Je traversai la cour à la rencontre de Madame X . Cette dame que je rencontrais régulièrement était joviale et consciente des difficultés de sa fille en classe. Arrivé près d’elle, son allure raide, son regard fixe me laissèrent perplexe. Aussitôt, elle demanda à sa maman qui l’accompagnait de conduire la petite aux toilettes. Elle m’annonça aussitôt : « Mon mari s’est suicidé cette nuit, il s’est jeté dans sa machine à chicons ! Ma fille ne sait rien et va habiter quelques jours chez une amie. Je ne veux pas qu’on lui dise. »
2002 L’église, trop petite, laisse une foule émue se recueillir sur le parvis. A l’intérieur, au milieu du chœur repose un petit cercueil. Ma « petite, mon élève » s’est tuée en utilisant le scooter de sa grande sœur. En tête défile tous ces moments, ces rapports intenses entre le maître qui apprend à lire et ce petit « bout de chou ». Je la revoie à mes côtés annonant ses premiers mots, surprenant son regard curieux, ses allures de petite mère… Je la revoie sur le film de la kermesse …
Que le métier est beau, mais combien laisse-t-il de plaies ?