Lettre d'une enseignante en colère
De Wikicitoyenlievin.
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Version actuelle en date du 12 février 2011 à 16:52
Une enseignante exprime sa colère face à la maltraitance qui est faite à l'école .
Que ce soit sur « la toile »,à la radio,à la télévision,ou dans la presse,je m'étonne du peu d'écho accordé à un mouvement qui mit- quand même!- hier 3500 enseignants dans la rue à Lille,plusieurs centaines à Béthune,à Avion,à Arras,sûrement d'autres ailleurs en France...et qui se poursuit par quelques « écoles mortes » dans notre région,plus habituée,si j'en crois la carte des manifestations en général,à une résignation passive qu'à une révolte violente.
Alors,je sais,les enseignants sont coupables de tous les péchés: Paresseux,absentéistes,naviguant de colloques en stages,ils ont aussi le front d'être parfois malades,d'avoir des enfants qui ne sont pas plus que d'autres épargnés par la grippe ou la gastro; ils ont des vacances interminables,et – comble de l'inadmissible!- ce sont des « privilégiés ». Du point de vue du gouvernement,ils ne servent sans doute pas à grand chose,puisqu'ils ne « produisent » rien,..si ce n'est une forme( à bannir!) de réflexion et d'intelligence,d'esprit critique ( donc frondeur!) et une capacité à juger,dès qu'ils savent lire,écrire...et compter! Tout cela est en effet impardonnable!
Il serait grand temps de remettre les pendules à l'heure! Depuis des mois,face à la casse programmée de l'école publique,ils tirent le signal d'alarme,oubliant au passage de se défendre personnellement contre des attaques injustes: jadis ils furent des « mammouths »,tout juste bons à être « dégraissés »; quant à être considérés par le commun des mortels comme des loirs ou des lézards...ce n'est pas nouveau! Regardons-y de plus près,voulez-vous?
Au temps des 35 heures si controversées,un enseignant débutant passe plus de 50 heures entre cours à préparer (eh oui,on n'arrive pas devant une classe de 30 gamins en leur disant: « prenez le zap TV et foutez-moi la paix! ») copies à corriger ( en 3ème,je passais ¼ d'heure en moyenne par copie de rédaction...faites le compte avec une classe de 30 élèves;un professeur d'histoire au collège a entre 5 et 6 classes) . Pour les enseignants plus anciens,il faut savoir qu'un prof ou un instituteur consciencieux peaufine chaque année son travail de base,le nuance,voire le change complètement en fonction des résultats obtenus l'année précédente,ou d'une modification impromptue des programmes; il le perfectionne,l'enrichit ;il s'informe,il innove,il est constamment « en recherche » .
Il n'est pas plus souvent absent que d'autres,et,s'il l'est,dans certains secteurs,il faudrait peut-être se demander pourquoi!
Les parents qui s'insurgent sont souvent les mêmes qui,face à leurs propres enfants,ont tôt fait de démissionner. Mettez-les dans une classe où 30 enfants bougent,parlent tous en même temps,sont parfois insolents,jouent avec leurs portables,même si ceux-ci sont interdits par le règlement intérieur,ne se sentent pas intéressés par ce que vous avez à leur « vendre »,vu qu'ils ne jurent que par star wars...quand ce n'est pas par autre chose! Obligez-les,ces parents,non seulement à créer le silence et le calme,mais encore à maintenir ,une heure durant,l'attention de « ces chères têtes blondes »...Après,ils parleront; ou plutôt,ils compatiront: certains jeunes enseignants sont ainsi parachutés dans des classes « lourdes » sans la moindre formation préalable...et ont,c'est vrai,la faiblesse de déprimer!
« Ils ont des stages »! Certains organisent même des sorties pédagogiques:cinéma,musée,théâtre, voyages...Ah les jolies vacances!!! Il faut savoir qu'un stage,c'est 2 à 3 jours de formation à temps plein; les enseignants les demandent pour se recycler( informatique),pour apprendre ce qu'on ne leur a pas forcément appris avant, et cela va d'une formation pédagogique (comment gérer des enfants en difficulté,comment faire face à la violence ...) à une formation plus scolaire( comment diversifier les enseignements,appréhender un exercice difficile...). De ces acquis,ce sont les enfants, vos enfants, qui profiteront en priorité!
Quant aux sorties...! Si les parents savaient ce qu'il en coûte aux enseignants pour les organiser...ils se demanderaient par quel excès de zèle sont animés ceux qui s'en occupent! Problèmes de bus;problèmes d'administration; problèmes de sécurité;problèmes d'accompagnement; problèmes d'emploi du temps;voire problèmes avec les collègues et les sacro-saints programmes à boucler! Ensuite,c'est une responsabilité énorme – et à temps plein! Un enseignant qui part en classe découverte est taillable et corvéable de jour et de nuit , à la merci d'un élève qui vomit à 3 heures du matin ou d'un coup de blues à 23heures! Il a bien peu de temps pour profiter du paysage et ne va pas se baigner ( ou faire du ski!) pendant que les élèves boivent gentiment leur chocolat chaud! Il ne faut pas rêver: ceux qui « accompagnent » ces sorties rentrent épuisés, et juste soulagés quand tout s'est bien passé – heureux aussi quand des pauvres gosses qui n'avaient jamais quitté leurs corons ont découvert la montagne et les marmottes ! C'est cela l'Amour des gosses,- des gosses des autres! Les leurs,de gosses,ils ont souvent dû s'organiser pour les faire garder pendant leur absence !
Quant à leurs vacances ...s'ils sont « de baccalauréat » ou s'ils sont CPE (conseiller principal d'éducation),c'est à partir du 15 juillet qu'ils peuvent partir, et en général,ils rentrent vers le 15 août:la rentrée d'un enseignant,ça se prépare! C'est,accessoirement la période où les prix sont les plus élevés..Je constate que dans d'autres professions ( pas toutes),compte tenu des RTT,des récupérations,des arrangements internes,la durée du « temps libre » n'est pas moindre!
Parlons enfin de l'argument brandi hier soir par le Président de la République: le « privilège étant d'avoir un travail »,il paraît que nous sommes des privilégiés!
Il me semblait,à moi,que,dans une société normale,avoir du travail était une normalité quand on était reconnu qualifié pour le faire; un enseignant a passé des années à apprendre; il sait des choses que les parents,si vite débordés quand il s'agit de vérifier les devoirs de leurs enfants,ne savent pas;il s'est présenté à des concours pas si faciles, (écrit,oral ) ; il a été reconnu apte à enseigner ces connaissances par un jury national;il a obtenu un poste;il travaille;je ne vois pas là « un privilège » ,mais l'aboutissement logique d'un parcours d'apprentissage réussi. Avoir un emploi n'est pas un privilège,c'est une normalité;C'est ne pas en avoir quand on en a les capacités officiellement reconnues qui est scandaleux et inacceptable!
Et puis,parlons un peu de ce « privilège » des enseignants:
Privilège,en effet,que d'habiter Perpignan,d'y avoir sa famille,ses amis,ses racines...et d'être nommé à Noeux les Mines! ( Bienvenue chez les ch'tis,heureusement!)
Privilège que d'avoir enseigné pendant 14 ans dans le même lycée,d'y être reconnu comme un excellent professeur,d'avoir fait construire sa maison dans le secteur,...et de se voir transformé en « titulaire remplaçant » désormais,c'est à dire être amené à prendre,au pied levé,à Sains en Gohelle, à Bruay, quand ce ne sera pas à Boulogne ou à Calais,la classe d'un professeur absent ( 2nde,1ère ou terminale,c'est selon...) pour 1,3,ou8 jours,(c'est selon aussi); motif:son poste –son poste fixe,celui sur lequel il a été nommé! -a été supprimé! Il y en aura 16000 comme cela en septembre2011!
Je ne parlerai pas des changements de programmes décidés sans l'avis des enseignants,de la suppression des RASED (ensemble d'enseignants formés SPECIFIQUEMENT pour prendre en charge des enfants en grande difficulté ( les instituteurs se débrouilleront!),des 38 élèves par classe qui ont ( quand même!) surpris notre président!
Je dirai juste qu'il en est des enseignants comme des magistrats: pas assez de moyens;un service public qui,malgré les efforts individuels,s'en ressent parfois; et les gens,qui jugent au résultat,s'en prennent aux uns comme aux autres,et,partant,se trompent de cible: on ne peut pas faire « mieux » avec « moins »!
Mais on a beaucoup parlé de la colère des magistrats. Beaucoup moins de celle des enseignants:eux,on a l'habitude,voyons...des privilégiés jamais contents! Et puis,quand ils font grève... « Qui va garder les enfants? » Je vous le demande!
Il est temps que les gens comprennent que c'est aussi POUR LEURS GAMINS que les enseignants étaient hier dans la rue. Quand ils baisseront (« enfin! « dira le gouvernement) les bras,eux aussi,il n'y aura plus d'école publique digne de ce nom!..et ce ne seront pas les enfants d'enseignants qui en pâtiront le plus...mais les VôTRES!
Qu'on se le dise!!!
Une enseignante en colère!
